Les rangs sont également de plus en plus clairsemés dans les open spaces des salles de rédaction. Et ces crève la faim de pigistes sont désormais persona non grata. Alors on s’organise de manière Tayloriste en attendant l’heure des robots-journalistes. C’est le printemps, il fait beau dehors ? Ah bon. Dans les quotidiens parisiens on bronze au néon… Pas moyen de prendre le soleil au prétexte de faire un micro-trottoir ou de couvrir une manif (sait-on jamais le joli mois de Mai approche). “On pisse de la copie comme des poulets en batterie”, me disait récemment un confrère entre deux cachetons de Guronsan et de Tranxène. Mauvaise mine le confrère. Pas comme les gars de la télé… Mais enlevez leur le maquillage aux hommes troncs et aux super bimbos des chaînes d’info. Et vous verrez : c’est l’Enfer des Zombies cathodiques, comme dans un film de Romero !
La faute à qui tout ça ? “A la crise de la presse et à la concurrence des nouveaux médias numériques”, ont répondu en substance 115 confrères exerçant dans 27 pays européens dans le cadre d’une enquête menée par Burson-Marsteller. Tu parles d’une nouvelle. Et d’un échantillon représentatif…Quant au fait que ce sondage soit mené par une agence de relations publiques et bien on dira que c’est assez symptomatique…C’est vrai, la profession n’a jamais été très douée pour l’introspection et l’auto-analyse objective. C’est bien connu : les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés. Mais bon regardons quand même de plus près les résultats de ce nouveau sondage Mediapocalyptique.
Alors voilà : 81 % des journalistes interrogés confirment “subir des restrictions budgétaires”.
Ah okay okay c’est pour cela qu’il n’y a plus que des Bic orange, pas de stabilo, et plus du tout de carnet de notes aux fournitures… Si ça continue on va devoir piquer des ramettes de papier A4 à l’assistante de direction. C’est ça ou les cahiers de nos mômes… Et mes abonnements à “FHM”, aux “Inrocks” et à “Sport illustrated” ils sont passés où ? Finito, Niente, Kaputt… Maintenant il faut tout justifier : une note de frais ? Avec qui ? Pourquoi ? Où ? Le secret professionnel, la protection des sources… Il ne connaît pas le mec de la compta. Résultat on ne peut plus déjeuner tranquille avec ses potes ou sa copine aux frais du journal. Dur, dur la crise. Un reportage à Las Vegas ou Tokyo ? “Mmmm pourquoi pas…c’est qui la boite qui t’invite ?”, demande benoîtement le rédacteur en chef. Oui c’est sûr, pas évident dans ces conditions de “porter la plume dans la plaie”, d’aller voir “derrière le miroir” comme disait l’autre. Mais bon à la guerre comme à la guerre : dites madame l’entreprise, on sera en business class au moins ? Il est 4 étoiles l’hôtel j’espère ?
28% des journalistes s’attendent à des réductions d’effectifs.
C’est sûr il ne fait pas un temps à mettre un journaleux dehors. C’est pourtant très tendance en ce moment. Un plan social par là, une clause de cession par ici, ou à défaut un licenciement économique sur mesure… Si même les grands quotidiens du soir sont menacés de dépôt de bilan faute de trouver 50 millions d’euros sous le paillasson, plus personne n’est à l’abri. Prenez mon pote Pedro (appelons le Pedro, il cherche du boulot). Une vingtaine d’années de carte de presse, dix ans dans un grand journal de la presse parisienne, un poste de rédac chef adjoint en presse magazine, c’est lui qui fait tourner la boutique pendant que son boss se la coule douce. Et puis un beau jour :
Dis donc Pedro tu veux venir dans mon bureau ? T’as vraiment fais du super boulot… mais là je ne vois pas bien ta place dans le futur organigramme rapport à la réorganisation du travail qui se prépare.
Exit mon poteau, sur le marché aux esclaves à 45 ans passés. Trop vieux, trop cher, trop grande gueule… trop consciencieux aussi dans son travail (la vérification à plusieurs sources, la déontologie tout ça quoi…) quand il faut pisser à la seconde de la News numérisée sur tous les écrans fixe et mobile sans se poser trop de questions. Bref, pas le genre de profil qui se vend bien en ce moment chez les forçats de l’info.
C’est sûr confirme l’enquête Burson Marsteller, 47 % des journalistes estiment qu’ils “ne peuvent plus se contenter d’être simple rédacteur”.
Fini de se la couler douce à écrire un papier aux petits oignons : 41 % des sondés confirment “être devenus des multi-spécialistes et écrire plus d’un sujet par jour”, 20 % se plaignent d’avoir moins de temps pour rédiger un article, moins de temps aussi pour explorer de nouveaux angles… Et 20 % toujours, regrettent de “devoir espacer leurs rendez-vous avec leurs sources”. Au final, 27 % des sondés estiment que “le contexte actuel nuit à la qualité de leur travail”…
Bande de feignasses va ! Ce que cherchent les entreprises à produire de l’information (appelons les comme cela, ce ne sont plus des journaux), ce sont des “journalistes Shiva” (comme la divinité avec plein de bras), des mutants capables de tweeter une info en direct live, puis d’envoyer un “Exclusif” pour le site web du journal, avant de faire un “trois questions vidéo”, puis de rentrer dare-dare à la rédaction pour faire un bon papier à valeur ajoutée, avec du recul et de l’analyse dedans. Tu as enfin fini ? C’est reparti pour un tour ! A ce rythme, si tu as plus de 50 ans et que tu clopes encore, tu es bon pour un aller direct chez le cardiologue avant de passer sur le billard comme mon copain Boris (appelons le Boris il cherche peut-être encore du travail le maso). Cela tombe bien : il faut faire de la place aux djeun’s qui n’en veulent !
Il faut dire que certains plumitifs “old school” ne se sont pas franchement mis à l’heure du grand chambardement digital, confirme le sondage Burson-Marsteller. “Pour 17 % des journalistes, les médias digitaux sont la plus grande menace qui pèsent sur les médias traditionnels”.
La pire des menaces ? “Les blogs” pour 27 % des journalistes interrogés (les cons, ils n’ont rien compris), les nouvelles technologies de recherche de l’info (Google is Evil !) pour 14 % des sondés, Facebook et Twitter pour respectivement 13 % et 10 %. Hé oh les gars réveillez vous ! Gutenberg est mort il y a bientôt 600 ans et la Loi de Moore est passée par là. L’info se dématérialise et circule sur le réseau à la vitesse de la lumière pour atterrir sur des millions d’iPhone et bientôt d’iPad. Exit les rotatives, les bouclages à pas d’heure, l’encre qui tâche les doigts et le crissement du journal à l’heure du café… C’est comme ça. D’ailleurs ça ne fait ni chaud ni froid aux jeunes confrères qui produisent de la copie online comme à l’usine. Cela tombe bien, ce sont eux qui ont le profil pour la “newsroom” digitale de demain.
Vous avez plus de 40 ans ? Vous n’êtes pas “plug and play” avec le nouveau système éditorial qui permet de mettre en ligne vos papiers sur tous les supports ? L’info en temps réel sur Twitter vous fait flipper et vous n’avez pas de blog ? Mauvaise(s) réponse(s) cher confrère : vous êtes le maillon faible ! C’est Darwinien : soit vous évoluez et vous vous adaptez à la grande mutation numérique, soit vous disparaissez avec les autres “Newsosaures” de la vieille presse.
Heureusement qu’il y a Burson-Marsteller pour vous guider sur le chemin des nouvelles espèces ! Filiale du géant de la Pub WPP, notre agence de RP prend très au sérieux son rôle “d’accompagnement” des journalistes déboussolés par le grand chambardement digital :
Dans ce contexte, les agences doivent être encore plus vigilantes pour fournir aux journalistes des infos sur mesure, des angles originaux et pertinents, ainsi que toujours plus de contenus multimédias et digitaux (…) Chez Burson-Marsteller nous mettrons tout en œuvre pour développer plus intensément notre partenariat avec les journalistes et les aider à répondre au mieux à cette nouvelle donne
peut-on lire en conclusion logique de l’enquête maison.
Pas bégueules et toujours prêts à faire plaisir, 93 % des journalistes interrogés déclarent que “leur” agence de RP “joue un rôle clé dans leur quotidien”, 47 % indiquent même avoir “intensifié leurs contacts avec les professionnels de la communication” et 18 % leurs témoignent “une confiance accrue”…
Bizarre moi quand j’étais petit, on m’a appris au contraire qu’il fallait rester polis avec les pro de la com mais toujours garder respectueusement ses distances… Rien de personnel mais on ne fait pas le même métier. C’est ainsi depuis la nuit des temps journalistiques.
Que penseraient nos amis Albert Londres et Hunter S. Thompson (des habitués de ce blog) de la tournure des évènements numériques dans les rédactions ? Que du mal bien sûr. Mais il parait que ces vieux cons appartiennent à une branche quasi-éteinte, car non rentable, de l’espèce journalistique. D’ailleurs au train où vont les choses, les derniers représentants de ce Rat Pack qui portait haut et fort les couleurs du récit et de reportage ne devraient pas survivre à l’avènement de l’homo numericus. C’est Darwinien puisqu’on vous le dit. En forçant à peine le trait, voilà ce que je lis ici ou là ces derniers temps chez mes jeunes confrères “digital native” qui ont tout compris au journalisme de demain et veulent du papier (passé) faire table rase :
Arrêtez de nous emmerder avec vos vieilles histoires, le lecteur veut de la “short news” et des “data” sur tous les écrans !…
Mais dites donc, le lecteur en question serait-il devenu totalement con, incapable de faire l’effort de lire plus de deux feuillets rapport à son “temps de cerveau disponible”? Pour ma part, je pense au contraire que la presse est en train de mourir de son manque d’exigence, d’inventivité, de parti pris et de grain de folie journalistique ! Je l’ai déjà expliqué dans ce billet en forme de plaidoyer pour le journalisme de récit et dans cet hommage au gonzo-style de Doc Thompson. Bon il est vrai que j’agite un peu le chiffon rouge avec ce genre de pronunciamento nostalgico-réac non dépourvu de mauvaise foi ;-). Mais que voulez vous, j’ai horreur du conformisme ambiant et de l’eau tiède objectiviste dans lequel baigne aujourd’hui le business de l’info… le lecteur aussi je crois.
Une chose est sûre, avec mes quelques amis dinosaures rescapés de l’ère Gutenberg, nous n’avons pas encore démissionné du clavier et nous sommes loin, très loin, d’avoir signé notre dernier papier, notre dernier billet… Et vous voulez un vrai scoop ? Le numérique ne nous fait pas du tout peur, c’est au contraire une opportunité historique de réinventer le journalisme, plein cadre ou hors cadre, avec de belles histoires, de la chair et de l’humain dedans. Ici et ailleurs, ici et maintenant !
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Article initialement publié sur le blog de JC Feraud, Sur Mon Ecran Radar
Crédits photo FlickR CC : inju / GiantsFanatic / goodwines
]]>On a parlé un peu politique, bien sûr, Atlantico ayant été présenté ça et là tantôt comme un Rue89 ou un Mediapart de droite. Le rapprochement serait plutôt à faire avec Slate.fr: le média se veut un site d’infos qui laisse la part belle à l’opinion et à l’analyse. Mais “plus en prise avec l’actualité chaude”, précise Jean-Sébastien Ferjou.
Quant à l’étiquette “de droite”, les fondateurs ne la revendiquent pas, même s’ils ne récusent pas leurs affinités. Arnaud Dassier, l’un des investisseurs aux côtés de Charles Beigbeder (ex candidat à la présidence du Medef) a conseillé l’UMP sur la campagne Internet de Nicolas Sarkozy. La volonté, cependant, “n’est certainement pas de créer un média militant”. Mais bien de remplir un vide dans l’offre médiatique à travers un site d’infos à sensibilité “libérale” et indépendant. Un média qui souhaite s’appuyer sur la campagne présidentielle pour construire son audience et s’imposer dans le paysage des pure-players d’infos. Une stratégie inspirée du site américain The Huffington Post, d’inspiration démocrate, à qui la présidentielle a servi de levier d’audience.
Le rapprochement avec le Huffington Post n’est pas anecdotique. Même si les fondateurs préfèrent évoquer le modèle du Daily Beast, qui mélange articles de fonds, journalisme de liens et opinions, avec une approche urbaine et moderne, un vrai ton qui a permis au jeune site new yorkais (que j’avais visité en juin dernier) de trouver une place de choix.
La ligne éditoriale annoncée se veut d’ailleurs très ouverte: Atlantico parlera de politique, d’économie, de sciences, mais se permettra également d’aller sur des terres plus grand public comme l’insolite ou la télévision. “L’idée est de casser la hiérarchie de l’info”, commente Jean-Sébastien Ferjou.
Le profil des co-fondateurs va dans ce sens: Pierre Guyot et Jean-Sébastien Ferjou ont fait leurs armes dans l’audiovisuel, le premier en radio, le second à la télévision (LCI et TF1), tandis que leurs concurrents affichent plutôt une culture presse écrite.
A l’instar du Huffington Post, Atlantico consacrera une bonne part de son éditorial au “journalisme de liens”: 50% des contenus seront des sélections d’infos trouvés sur le web. A la manière de Slate.fr: c’est à dire quelques lignes de synthèse et un lien. Cette sélection ne sera pas mise au même niveau que les autres contenus (comme sur le Huffington Post), mais sera mise-en-scène dans une rubrique à part, comme sur Slate ou le Daily Beast.
Le reste sera constitué de billets d’analyses, écrits directement par des experts, édités par des journalistes, ou récupérés sous forme d’interview. “Les journalistes ne seront pas sollicités pour écrire des articles, mais pour trouver la bonne personne, le bon expert, le plus habilité à parler d’un sujet.” Un fil de dépêches (pas AFP) sera également proposé. Mais la rédaction ne s’interdira pas d’aller sur de l’enquête “quand l’occasion se présentera”. Plus fréquemment demain, quand le budget le permettra…
Pas de chiffres précis sur le budget global (que j’estime à 600.000-700.000 €/an), justement, ni sur le nombre exact de journalistes, mais “on est à peu près dans la fourchette de Slate”, entre 4 et 6 journalistes, avec un budget de piges ponctuel. Le site a été développé sous Drupal, un framework utilisé par la plupart des sites d’infos (Rue89, France 24, Slate et Le Figaro pour une partie…).
Il n’y aura pas de blogs, pas pour l’instant, mais un pool de contributeurs, parmi lesquels des personnalités et des blogueurs, qui s’est engagé à produire. “Nous n’avons essuyé aucun refus”. Parmi eux, quelques “people” (pas de noms, juste que Jean d’Ormesson, n’en fait pas partie!), mais surtout des experts, acteurs de la vie économique, médiatique et culturelle. L’inspiration? Plutôt “Europe 1″ que RMC ou France Inter.
Le business-model n’est pas encore très clair: le site sera gratuit, et s’appuiera sur un modèle publicitaire. Mais l’objectif est de jouer la diversification, avec probablement une couche payante. Mais pas dans l’immédiat. “La levée de fonds nous permet d’avancer tranquillement et nous laisse le temps de construire une audience.”
Pas de date de lancement annoncée, cependant. “Il reste quelques réglages techniques à faire”. Mais la rédaction est déjà en place et au travail.
Billet intialement publié sur la Social Newsroom
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Crédits photo: Flickr CC Manish Bansal
]]>Le public plébiscite donc cette nouvelle manière de consommer l’information. Les journalistes en prennent acte, et cherchent par conséquent à rendre toujours plus innovante leur production de contenus en ligne. Le temps des tâtonnements, celui qui voyait la presse imiter sur le web ce qu’elle faisait sur papier (en commettant au passage l’erreur de la gratuité), est révolu. Chacun sait maintenant que le webjournalisme est une forme de journalisme à part entière, avec ses outils, ses codes et ses supports propres.
Mieux: grâce au potentiel multimédia inouï que permet l’Internet, le webjournalisme se décline sous plusieurs formes très variées qui ont progressivement émergé et se trouvent aujourd’hui à des stades de développement différents. Nous distinguerons ici six catégories, dont les dénominations et les caractéristiques ne demandent qu’à être discutées et complétées :
Précisons que ces formes de journalisme ne constituent que des modèles purs, des “idéaux-types”, qui ne sauraient être des catégories rigides dans lesquelles classer les différents contenus d’information. Par exemple, les publications de pure players type Rue89 sont souvent au croisement du narrative journalism, du talk journalism et – parfois – du data journalism.
Il n’en reste pas moins que le webjournalisme s’est démultiplié en plusieurs types de journalisme. Voilà pour le fond. En ce qui concerne la forme, on a également assisté à une démultiplicatio : celle des supports. Il est loin le temps où Internet était seulement disponible depuis un ordinateur de bureau. Aujourd’hui, l’information est accessible depuis différents supports numériques, chacun permettant de privilégier tel ou tel usage :
Faisons enfin un bref tour d’horizon des modèles économiques utilisés pour tenter de monétiser l’information sur le web, en se plaçant du point de vue de l’internaute, donc en reprenant l’opposition basique gratuit-payant :
Types de webjournalisme, supports de l’information, modèles économiques : nous avons passé en revue chacun des éléments de cette triplette. Il est maintenant possible de bâtir une typologie associant à chaque forme de journalisme les supports et modèle(s) économique(s) qui seraient les plus appropriés :
Quelques explications :
Il n’existe donc pas une recette miracle, les solutions sont multiples. Ces pistes ne demandent qu’à être discutées mais elles montrent bien que le webjournalisme est un journalisme qui se décline, à la fois en termes de supports et de modes de monétisation. Il n’est pas voué à n’être qu’une forme précaire et dévalorisée du journalisme, mais est au contraire promis à un grand avenir, pour peu que journalistes et éditeurs sachent comprendre les attentes du public et agencer fond, forme et modèle économique de façon à trouver les combinaisons gagnantes. C’est à cette condition qu’est soumise la pérennité du journalisme sur Internet.
Article initialement publié sur FuturJournalisme
Illustrations CC FlickR par Thomas Hawk et MoMoNWI
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