OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La cyberguerre froide http://owni.fr/2012/08/16/la-cyberguerre-froide/ http://owni.fr/2012/08/16/la-cyberguerre-froide/#comments Thu, 16 Aug 2012 12:32:42 +0000 Andréa Fradin http://owni.fr/?p=118026

N’insistez pas, les États-Unis ne lâcheront pas le contrôle du Net. Ou plus précisément, la gestion de quelques-unes de ses fonctions essentielles, comme la gestion du fichier racine, coordonnée au sein d’institutions made in USA comme l’ICANN ou Verisign, qui (en gros) créent ou suppriment de nouveaux “.quelquechose”.

Pas faute d’avoir essayé de changer les choses depuis de nombreuses années. La dernière tentative en date, toujours en cours, s’appuie sur la prochaine Conférence mondiale des télécommunications internationales (WCIT-12). Attendu à Dubai en décembre prochain, cet évènement placé sous la coupe des Nations Unies et de l’une de ses agences, l’Union internationale des télécommunications (UIT), sera en effet l’occasion de réviser le “Règlement des télécommunications internationales” (RTI ou ITRs en anglais), qui “régit la façon dont les pays relient entre eux toutes sortes de réseaux d’information et de communication”, et dont la dernière version remonte à… 1988. Une éternité à l’échelle du Net.

Internet par la racine

Internet par la racine

Racine d'Internet par-ci, racine d'Internet par-là : mais c'est quoi ce bulbe magique générateur de réseau ?! Et pourquoi ...

Certains pays voient en cet amendement l’occasion idéale pour bousculer les règles du jeu sur Internet. Et souhaitent en profiter pour confier à l’ONU et son UIT de nouvelles compétences en matière de gouvernance du réseau. Une organisation aujourd’hui en charge de “l’interconnexion harmonieuse des réseaux et des technologies” ou bien encore d’un meilleur “accès des communautés défavorisées aux TIC”. Mais en rien de dossiers plus sensibles comme la régulation du Net.

Pas question d’une telle révolution, ont d’ores et déjà répliqué les États-Unis, prétextant qu’elle serait l’occasion “de placer des contraintes réglementaires plus fortes dans le secteur des télécommunications mondiales, voire dans le secteur d’Internet.”

Nettoyer, balayer, contrôler

Il faut dire que les porte-étendards de la réforme sont la Chine et la Russie, peu réputées pour leur permissivité sur Internet. Et à voir le contenu de leurs premières propositions, difficile de croire en de saintes intentions. Outre la remise en question de la gouvernance du réseau, ces pays militent également pour une prise en compte des questions de cyber-sécurité au sein du Règlement des télécommunications internationales, jusque-là tenu à l’écart de ces problématiques traditionnellement souveraines.

Pour la Russie, “l’introduction de mesures spéciales portant sur la sécurité des services de télécommunications internationales” est nécessaire, dans la mesure où le développement du secteur est plus rapide que celui des lois et de la régulation, peut-on lire à la page 25 d’une compilation des propositions rendue publique fin juin. Une divulgation allant à l’encontre de la politique de confidentialité de l’UIT et rompue par un site, http://wcitleaks.org/, qui a organisé la fuite de nombreuses contributions au nom d’une plus grande “transparence”.

L’idée est donc d’ajouter un nouveau volet au RTI, intitulé “Confiance et Sécurité des Télécommunications et TIC” (voir page 181), qui couvre en vrac :

Sécurité physique et opérationnelle, cyber-sécurité, cybercriminalité et cyber-attaques, attaques de déni de service, autre criminalité en ligne, contrôle et riposte contre des communications électroniques indésirables (ie spam), et protection des informations et données personnelles (ie phishing).

Soutenue par Cuba, le Qatar, les Émirats arabes unis ou encore l’Égypte, cette éventualité est rejetée en bloc par le Royaume-Uni, le Canada ou bien encore la France, qui estiment que ces questions doivent rester dans le scope national.

Fer de lance de cette bataille aux cyber-intérêts, les États-Unis ne se sont pas contentés d’une simple opposition de principe. Le 2 août, la Chambre des Représentants a adopté une résolution pressant la Maison-Blanche à agir pour mettre un coup d’arrêt à ces velléités de changement sur Internet :

[...] Les propositions, au sein d’institutions internationales telles que l’Assemblée Générale des Nations Unies [...] et l’Union internationale des télécommunications, justifieraient par une législation internationale un contrôle renforcé d’Internet par les gouvernements et rejetteraient le modèle actuel multipartite qui a rendu possible le développement d’Internet et grâce auquel le secteur privé, la société civile, les chercheurs et les utilisateurs jouent un rôle important dans la définition de sa direction.

Danger imminent

Si le texte n’a pas valeur de loi, il n’en a pas moins été disséqué et commenté par de nombreux observateurs. Beaucoup sont sur la même ligne que les autorités officielles : mettre la gouvernance et la sécurité du réseau entre les mains des Nations Unies est synonyme d’un danger imminent. “Donner carte blanche aux pays qui s’efforcent aujourd’hui de construire leur propre Internet 3.0 national, fermé et contrôlé serait un coup de tonnerre dévastateur pour Internet”, annonce sur son blog un chercheur canadien, Dwayne Winseck, spécialiste des médias et des télécommunications.

L’acte d’accusation contre un Internet libre

L’acte d’accusation contre un Internet libre

Acta dans l'Union européenne et Sopa aux États-Unis. Ces deux textes, en cours d'adoption, autorisent l'administration et ...

D’autres se veulent moins radicaux. Rappelant que le modèle actuel n’est pas si multipartite que cela. Ainsi, si l’Icann s’ouvre à des horizons divers, vantant ses qualités d’organisation indépendante constituée de FAI, “d’intérêts commerciaux et à but non lucratif” ou bien encore de“représentants de plus de 100 gouvernements”, elle n’en reste pas moins rattachée au Département du Commerce américain. En outre, “même si la participation [à des institutions telles que l'ICANN] est en théorie ouverte à tout le monde, en pratique seul un nombre limité de groupes ne provenant pas du monde occidental développé a le temps, l’expertise technique, les compétences en anglais, et les fonds pour envoyer des gens autour du monde pour participer à [leurs] réunions régulières”, souligne Foreign Policy.

D’autres encore se montrent plus corrosifs, et invitent les États-Unis à balayer devant leur porte avant d’ouvrir une chasse aux sorcières onusiennes. “Note au Congrès : les Nations Unies ne forment pas une sérieuse menace pour la liberté sur Internet – mais vous, si”, ont lancé deux chercheurs de Washington dans une tribune sur The Atlantic. Selon Jerry Brito and Adam Thierer, les élus américains “se trompent de cible”. Et de rappeler les délires sécuritaires de l’année passée, l’essai Sopa, le blocage de WikiLeaks, révélateurs d’une tendance au flicage du Net outre-Atlantique bien plus forte, et surtout bien plus réelle, que celle projetée sur l’ONU :

La menace la plus sérieuse pour la liberté sur Internet n’est pas l’hypothétique spectre d’un contrôle des Nations Unies, mais le cyber-étatisme rampant bien réel à l’œuvre dans les législatures des États-Unis et d’autres nations.

Même son de cloche du côté de Milton Mueller, spécialiste américain des questions de gouvernance, que nous avions interrogé à l’occasion d’un article expliquant la fameuse racine d’Internet :

Les menaces les plus grandes se situent à l’échelon national. Les États (pas simplement l’Inde, la Chine et la Russie, mais aussi les États-Unis, la Grande-Bretagne et d’autres démocraties occidentales) imposent toujours plus de régulations et de contrôles sur Internet dans la mesure où ils le peuvent au sein de leur juridiction nationale.

Les États-Unis, la pire des solutions (à l’exception de toutes les autres)

Le chercheur affirme néanmoins qu’un contrôle onusien ne serait pas moins nocif :

Si les gouvernements du monde verrouillaient Internet au niveau de chaque nation pour ensuite s’accorder sur la façon de le contrôler de manière globale, cela serait également dangereux.

Or à en croire Milton Mueller, c’est précisément ce que cherchent à faire des États comme la Chine ou la Russie, qui entendent peser dans la cyber-balance. Le lobbying pro-ONU sert moins les intérêts d’une gouvernance réellement multiple et équilibrée, que ceux de nations cherchant à assurer leurs arrières sur les réseaux, face au titan américain. “Depuis 1998, la Russie a soutenu -et les États-Unis s’y sont opposés- le développement d’un traité qui interdirait l’utilisation du cyberespace à des fins militaires, explique encore le professeur de l’université de Syracuse. [...] Les Russes se voient encore comme le plus faible dans le jeu de la cyber-lutte et aimerait un traité similaire aux accords sur les armes chimiques, interdisant l’utilisation de certains technologies comme armes”. Et Mueller de conclure :

Les récentes fuites concernant le rôle des États-Unis dans le développement de Flame et Stuxnet [NDLA : deux virus informatiques] ont dû rendre claires les raisons pour lesquelles les États-Unis ne semblent pas vouloir être tenus par de telles limitations.

Face au scénario des Nations Unies phagocytées par des intérêts nationaux, beaucoup optent donc pour le statu quo : une mainmise des États-Unis sur quelques-unes des fonctions fondamentales d’Internet. Faute de mieux. Parce qu’en l’état, cette situation est la moins pire des solutions. “Jusqu’à présent, les États-Unis n’ont pas eu de gestion scandaleuse de la racine”, nous expliquait ainsi début juillet l’ingénieur français Stéphane Bortzmeyer. Avant de concéder :

Sur Internet, c’est un peu l’équilibre de la terreur.


Illustration CC FlickR : heretakis (CC by-nc)

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La Syrie à la mine de plomb http://owni.fr/2012/08/06/la-syrie-a-la-mine-de-plomb/ http://owni.fr/2012/08/06/la-syrie-a-la-mine-de-plomb/#comments Mon, 06 Aug 2012 14:08:50 +0000 Ophelia Noor et Pierre Alonso http://owni.fr/?p=116681 L’Iran et la Syrie, une longue histoire. Dernier épisode de cet épopée, 48 Iraniens ont été enlevés par l’Armée Syrienne Libre, samedi sur la route de l’aéroport de Damas. Espions envoyés par Téhéran pour les uns, simples pèlerins chiites pour les autres. Avec ses traits noirs et acerbes, le dessinateur iranien Mana Neyestani chronique le conflit syrien sur sa page Facebook ou pour le site de la radio iranienne en exil Zamaneh. Il feint de s’interroger :

Comment être sauvé par un régime lui-même en perte de vitesse ?

Jusqu’ici, Bachar al-Assad a pu compter sur le soutien de la République islamique d’Iran. Mana Neyestani sourirait presque de cette alliance de deux dictatures. Lui vit en exil à Paris, après des aventures kafkaïennes racontées dans son ouvrage Une métamorphose iranienne. “Le seul langage que maîtrisent les dictateurs est la violence” explique-t-il.

Kafka à l’iranienne

Kafka à l’iranienne

Mana Neyestani, caricaturiste iranien, est l'auteur d'Une métamorphose iranienne, à paraître le 16 février. Un ...

Un alter ego syrien, le caricaturiste Ali Ferzat, a subi la répression du régime pour l’avoir trop vertement critiqué. Il y a un an, des hommes cagoulés l’enlevaient et le rouaient de coups ; ils lui brisaient les mains. Mana Neyestani lui rend hommage dans un dessin qui souligne le pouvoir du stylo contre la matraque.

“Je me demande comment Bachar peut dormir sans penser aux meurtres qu’il commet.” Sous le regard impuissant – dans le meilleur des cas – des organisations internationales. Deux dessins sont consacrés à l’ONU, que le dessinateur iranien n’épargne pas. Sur une image représentant un prisonnier sur le point de se faire exécuter, les Nations Unies choisissent de “cacher cette histoire”.

Pour le dessinateur, “c’est tellement douloureux de voir comment les Syriens se font si sauvagement massacrés par leur dictateur alors que l’ONU ne peut (ou ne veut) pas sauver les personnes innocentes.” Avec une question en suspens :

Une dictature et un massacre peuvent-ils être considérés comme des problèmes internes ?


Illustrations de Mana Neyestani, © tous droits réservés, publiées avec l’autorisation de l’auteur. Retrouvez le travail de Mana Neyestani sur sa page Facebook.

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Données de la drogue http://owni.fr/2012/07/10/donnees-de-la-drogue/ http://owni.fr/2012/07/10/donnees-de-la-drogue/#comments Tue, 10 Jul 2012 17:15:29 +0000 Claire Berthelemy et Anaïs Richardin http://owni.fr/?p=115764 Owni a décidé de concocter une carte interactive avec les data exploitables en relation avec l'économie de la dope dans le monde. ]]>

Plan de pavot

Le 28 juin, les Nations Unies rendaient public leur rapport mondial sur la drogue [PDF/EN]. Des kilos de data dans le corps du texte et d’autres dans des tableurs PDF pas très lisibles. Owni a voulu constituer une base de données sur les drogues à partir du rapport 2012 de l’ONU mais aussi du précédent. À l’issue du recueil des données, nous avons pu construire un Top 10 des pays qui ont saisi le plus de drogues (en quantité) pour l’année 2010 (rapport 2012). Une carte interactive pour visualiser les frontières les moins perméables, à l’heure où même François Hollande est sollicité pour légaliser le cannabis.

Saisies

Les rapports des Nations Unies présentent un défaut : leurs données ont été récoltées par réponse à des questionnaires envoyé, sur la base du volontariat. Parfois les pays n’ont pas répondu, d’autres fois ils ont été très exhaustifs. Nous avons lu les trois derniers rapports dans leur intégralité et construit au fur et à mesure le tableau disponible ici. Si beaucoup d’infos circulent sur la consommation de drogues, rares sont les analyses se focalisant sur les saisies et sur les zones géographiques où est interceptée la drogue. Or, les données les plus complètes sont celles des saisies par pays. Nous les avons privilégiées pour bâtir cette carte interactive :




Dans le Top 10 des pays qui saisissent le plus de colis/comprimés/poudre, le trio de tête est formé par le Mexique en pôle position, suivis de près par les États-Unis et la Bolivie. À eux trois, ils représentent plus de 5000 tonnes de saisies de drogues pour l’année 2010. Amphétamines, herbe et méthamphétamines culminent pour le Mexique (avec, en 2009, la “saisie” de 191 laboratoires). Les États-Unis ont une saisie de prédilection en plus de celle identiques au Mexique : l’héroïne avec 3,5 tonnes récupérées en 2010. Et 1931 tonnes d’herbe. Suivent l’Iran avec un “petit” 429 tonnes (principalement de l’opium) et 384 tonnes pour l’Espagne (cannabis seul).

L’Afghanistan, absent du Top 10 des saisies – les données ne sont pas renseignées pour l’année 2010- mérite qu’on s’y attarde puisqu’il fait partie de la cohorte d’États avec l’Iran, le Pakistan et l’Ouzbékistan – entre autres – qui sont engagés officiellement dans la lutte contre le narcotrafic, avec les encouragements de l’ONU. Et avec sa position de leader sur le marché de l’opium (90% du marché mondial), le pays cumule entre 1518 et 3518 tonnes de saisies, toutes drogues confondues. Le porte parole de l’OTAN, Carsten Jacobson, expliquait en début d’année dans les colonnes du Monde diplomatique :

Le trafic de stupéfiants a été un facteur clé de financement pour les insurgés, mais cette source de revenus diminue [...] Les opérations anti-drogue perturbent avec succès les capacités des insurgés à transformer l’opium en héroïne. Nous continuerons à étrangler leurs revenus générés par la vente de drogues illicites en 2012

Drogues de synthèse, MDMA/ecstasy

En isolant les drogues une par une dans ce même classement des pays les plus “saisisseurs”, le cannabis est le plus intercepté dans ce même trio États-Unis, Mexique et Bolivie. De la même façon, les drogues de synthèse sont saisies majoritairement par les États-Unis et le Mexique, puis l’Iran dans une moindre mesure.

Drogues: le succès du modèle portugais

Drogues: le succès du modèle portugais

Dépénalisée depuis 2000, la consommation de drogue est au Portugal largement encadrée au niveau sanitaire et médical. Un ...

La forte présence des États-Unis et du Mexique n’est pas une surprise. La découverte récente de tunnels aux frontières des deux pays – pour transporter le tout – peut expliquer les saisies nombreuses aux entrées et sorties de tunnels (230 mètres de long et 1,3 mètres de haut pour le dernier découvert).

Dans les data des rapports se trouvent aussi de petites perles, notamment en poids des saisies. On peut espérer vivement que les 12 kilos d’amphétamine saisis en Nouvelle-Zélande en 2010 aient été saisis en une seule fois. Même chose pour les 63 kilos d’ectasy au Royaume-Uni en 2009. Inutile de faire déplacer beaucoup de monde pour des petites prises.

Panda

Les barons de la drogue ne roulent pas en Fiat Panda, c’est bien connu. À l’inverse des producteurs, qui, eux, sont les plus lésés de la chaîne de trafic, et dont la production (feuilles de coca, pavot à opium etc.) ne leur rapporte qu’une part ridicule du gâteau final. Tout au long du trajet qu’effectue la drogue du pays producteur au pays consommateur, les intermédiaires, qu’ils soient grossistes ou détaillants, s’en mettent plein les poches. Exemple avec les opiacés en Afghanistan en 2009 : alors que le marché global était estimé à 68 milliards de dollars, seuls 440 millions sont revenus aux producteurs afghans, pourtant principaux fournisseurs de pavot à opium. Les trafiquants afghans ont empoché 2,2 milliards et les Talibans près de 155 millions. Si les drogues de synthèse et le cannabis sont majoritairement consommés dans leurs aires de production, la cocaïne produite en Amérique du Sud est principalement à destination de l’Amérique du nord (marché de 37 milliards de dollars) et de l’Europe (33 milliards de dollars).

En Europe, ces dix dernières années, le nombre d’usagers de cocaïne a doublé et est passé de 2 millions en 1998 à 4,1 millions en 2008.En 2009, la cocaïne a été consommée par une vingtaine de millions de personnes dans le monde (entre 14,2 et 20,5 millions) pour un marché global de 85 milliards de dollars. Des chiffres considérables pour une économie souterraine comparable en termes de valeur à celle des armes ou du pétrole. Sur ces 85 milliards, 84 ont été empochés par les trafiquants.

Il faut savoir que si les producteurs perçoivent une piètre rémunération au regard du butin final, le volume de leur production revendu à la sortie de l’exploitation n’est pas égal au volume déversé sur les marchés. Si un producteur vend 100 tonnes de feuilles de coca pour qu’elles soient transformées, c’est deux voire trois fois ce volume qui arrivera à destination. Tout au long de l’acheminement du pays producteur au pays consommateur, la drogue va perdre en pureté. En Afrique par exemple, qui tend à devenir un territoire de transit de plus en plus important pour les drogues mondiales, la cocaïne sud-américaine est coupée et divers adultérants (produits de coupe ou diluants) y sont ajoutés afin d’obtenir plus de poudre à moindre coût. Ce stratagème se répète jusqu’à ce que la cargaison arrive à destination. Ce qui explique en partie la différence de valeur entre la matière première et la matière finie.

Récolte de feuilles de coca en Bolivie

Mais si la culture de la coca est en partie autorisée en Bolivie sous la loi 1008, aux Etats-Unis, on lutte à coups de billets verts. Alors que le marché de la cocaïne et de l’héroïne est estimé à 45 milliards de dollars aux Etats-unis, le gouvernement projette d’injecter 26 milliards de dollars en 2013 dans un vaste projet de lutte anti-drogues. Le gouvernement états-unien participe aussi activement, et depuis longtemps, à la lutte anti-drogues dans des pays d’Amérique du sud, comme la Colombie à laquelle ils vont remettre une enveloppe de 155 millions en 2013. Une lutte en amont pour une cocaïne colombienne qui compte pour 90 % de la cocaïne disponible aux Etats-Unis.

Loin devant ces chiffres impressionnants, le marché du cannabis est le plus important au monde. De 125 à 203 millions personnes ont consommé du cannabis au moins une fois en 2010. Mais là où il se différencie des autres drogues c’est que le cannabis n’est pas seulement consommé dans la plupart des pays, il y est aussi cultivé. Et si la culture est avant tout locale, l’Afghanistan est aujourd’hui sur les talons du Maroc pour la production de résine de cannabis. Le cannabis y est d’ailleurs devenu plus lucratif que la culture du pavot à opium. Ainsi, en 2010, le revenu brut d’un foyer producteur de cannabis était de 9 000 dollars alors qu’il n’était “que” de 4 900 dollars pour le pavot à opium.

Méthodo

Le bilan après compilation des données dans un tableau vient surtout de la méthodologie utilisée pour collecter les données par les Nations unies. Sous forme de questionnaires, les États ont été invités à répondre aux questions. Libres à eux de le faire. Ou pas.

Plants de cannabis

Mais les Nations unies se défendent :

Le marché des drogues illicites a des dimensions mondiales et requiert de coordonner les réponses sur une même échelle. Dans ce contexte, le rapport mondial sur les drogues a pour but de tenter de comprendre le problème des drogues illicites et contribuer à plus de coopération internationale pour le combattre / lutter contre.

Data Publica a publié hier les résultats d’une étude réalisée en France sur la consommation de drogues des jeunes de 17 ans par région . L’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), en partenariat avec la Direction du Service National a sondé un échantillon de jeunes participant à la journée Défense et citoyenneté, anciennement journel d’appel et de préparation à la défense (JAPD). Un peu plus de 27 000 jeunes ont répondu sur leur façon de consommer la/les drogue(s). À toutes les échelles, le marché de la drogue et l’impact sur les populations posent question. Une occasion d’ouvrir les données concernant la drogue, sa culture et sa consommation.


Merci à Paule D’atha (Julien Goetz, Marie Coussin et Nicolas Patte), Camille Gicquel et Thomas Deszpot
Photographies sous licences Creative Commons par Fraidbouaine, Alexodus, Joaokedal et Grumpy-Puddin, édition par Ophelia Noor pour Owni

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Les lobbies au sommet de la Terre http://owni.fr/2012/05/31/conference-rio-20-lobbying-sommet/ http://owni.fr/2012/05/31/conference-rio-20-lobbying-sommet/#comments Thu, 31 May 2012 15:49:32 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=111700

Du 20 au 22 juin, le Sommet de la Terre de Rio, mettant en avant la question de la croissance verte à l’occasion de ses vingt ans, s’annonce en réalité comme l’un des plus grands rassemblements de lobbies industriels que la planète ait connu. Mis en place dès la conférence de 1992, les groupes de pression et organismes représentatifs des intérêts économiques mondiaux noyautent et encadrent les rencontres officielles de leurs propres événements, afin de coordonner leur montée en puissance au sein des instances de l’ONU.

Initiative

Les portes sont plus grandes ouvertes que jamais aux intérêts économiques : déjà présents dans la définition onusienne de la “société civile”, le commerce et l’industrie ont depuis 2000 leur programme de coordination nommé Global Compact aux objectifs plus que consensuels :

La stratégie de l’ONU Global compact est une initiative stratégique pour les acteurs économiques engagés à s’aligner dans leurs activités et stratégies avec dix principes acceptés universellement dans les domaines des droits de l’Homme, du travail, de l’environnement et de la lutte contre la corruption.

À la tête de la branche française de cet organisme, Gérard Mestrallet en personne, PDG de GDF Suez, dont la filiale “eau et services aux collectivités”, Suez Environnement, a collaboré au “draft zéro”, document de travail préparatoire de la réunion. En marge du sommet lui-même et des nombreuses conférences où sont accueillies les entreprises, Global Compact est partenaire de l’initiative Business Action for Sustainable Developpment (BASD), mise en place depuis les années 1990. Derrière ce nom, deux des plus grands lobbies mondiaux : la Chambre de commerce internationale et le Conseil mondial des entreprises pour le développement durable (ou WBCSD).

Grise

Au côté de ces deux groupes de pression non sectoriels, une kyrielle de groupements d’intérêts parmi les plus polluants apparaît : la réunion des cimentiers, l’ICMM (mines et métaux), l’ICCA (produits chimiques), l’IPIECA (regroupant les groupes du secteur pétrolier), le Air Transport Action Group et l’impayable International Aluminium Institute, qui se vante de regrouper avec ses membres 80% de la production mondiale d’aluminium, une des industries les plus consommatrices en énergie. Coordinateur pour la Chambre de commerce internationale, Carlos Busquets a fait part à Owni de l’objet de cette réunion :

Il s’agit d’abord des industries qui ont fait le plus de progrès sur le plan environnemental ces dernières années : il n’y a pas d’entreprise complètement verte ou complètement grise. Nous avons pour objectif de mettre nos ressources en commun pour porter la voix des entreprises en matière de développement durable.

À côté d’évènements ouvertement promotionnels, comme l’atelier “Innovation verte dans le secteur de la mobilité” organisé par BMW, le BASD organise le Corporate Sustainability Forum, événement visant à partager les “bonnes pratiques” entre entreprises, comme ce fut le cas à Johannesburg en 2002 (Rio +10). Sur les bancs français, on pourra ainsi compter les PDG de trois grands noms du Cac40 : Total, Schneider Electric et, bien entendu, GDF Suez. À l’issue de ces ateliers de travail, une journée spéciale la veille de l’ouverture officielle du sommet, le “Business Day”, déploiera le message officiel du BASD pour la conférence :

1. Les entreprises sont des acteurs clefs du développement durable et détiennent les solutions (même si elles s’opposent “aux subventions qui distordent la concurrence”, sic !)

2. Elles militent pour un cadre institutionnel plus intégré et une plus forte gouvernance. En français : elles souhaitent remplacer le trop étatique Programme de Nations Unies pour l’Environnement par une Organisation mondiale de l’environnement, plus proche de leurs intérêts.

Délicate

L’idée d’une Organisation mondiale de l’environnement fait son chemin parmi les institutions mais suivant des itinéraires très variés. D’un côté, les ONG y voient la possibilité d’une “Cour de justice pour l’environnement”, qui jouerait le gendarme dans les grands conflits opposants populations locales et groupes internationaux ou gouvernements sur les questions écologiques et sanctionnerait en fonction. A l’extrême opposé, les entreprises lorgnent sur le “modèle” du Conseil mondial de l’eau : un organisme consultatif, sans grande capacité répressive, à la tête duquel serait placé un représentant des entreprises (le Conseil mondial de l’eau est actuellement dirigé par Loïc Fauchon, patron de la Société des eaux de Marseille, filiale de Veolia). Une participante aux discussions de l’Agenda 21, préparatoires au sommet de Rio, constate la posture délicate des organisations non-gouvernementales dans l’affaire :

Les organisations écologistes ont poussé à la création d’une agence onusienne de l’environnement sauf que, au final, les entreprises y ont ajouté la question des intérêts économiques et sociaux. Résultat, on se retrouve avec un projet qui ressemble moins à une Organisation mondiale de l’environnement qu’à une Organisation mondiale du développement durable, où les questions environnementales perdent du terrain. Un peu comme quand avaient été demandées des commissions “environnement” au Parlement français et qu’on s’est retrouvé avec des commissions “développement durable” : c’est le même piège qu’au Grenelle !

Ironie du sort, de nombreux acteurs institutionnels ne pourront être présents pour des raisons bêtement économiques : non encadrés, les prix des chambres ont atteint des sommets ridiculement élevés, jusqu’à plus de 500 euros la nuit pour des logements de standing moyen dans la métropole brésilienne. Avant une première injonction de l’Etat carioca, c’était par lot de 3 ou 11 jours uniquement qu’étaient vendus les séjours sur place, sans possibilité de négocier les prix exorbitants demandés alors. Le Parlement européen risque ainsi d’être sous représenté dans la délégation continentale, selon un proche du groupe écologiste :

Le gouvernement brésilien n’a pas du tout régulé le prix des chambres d’hôtel sur place. Même s’ils sont loin d’être économiquement à plaindre, beaucoup d’eurodéputés ont du renoncer à se rendre aux conférences, ce qui va laisser plus de places aux entreprises, qui seules peuvent se permettre ce type de budget.

À New York, depuis le 27 mai, le dernier round de négociations se mène sous les yeux attentifs des lobbies réunis et achoppe régulièrement sur la question de la création d’une agence, laquelle ne sera voté qu’en dernier lors de la réunion de Rio. Et, au rythme où vont les négociations, nombreux sont ceux qui se demandent si le sommet de Rio fêtera un jour son trentième anniversaire.


Photomontage par Daniella Hartmann [CC-byncsa]

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http://owni.fr/2012/05/31/conference-rio-20-lobbying-sommet/feed/ 0
Rapport de force sur les interouèbes http://owni.fr/2011/06/06/rapport-onu-g8-force-interouebes-internet/ http://owni.fr/2011/06/06/rapport-onu-g8-force-interouebes-internet/#comments Mon, 06 Jun 2011 18:01:43 +0000 Andréa Fradin et Guillaume Ledit http://owni.fr/?p=66510 Branle-bas de combat dans le réseau. Fini les placards, maintenant c’est sûr, Internet a pris une envergure internationale et les différents acteurs institutionnels avancent leurs pions pour faire face à ce nouvel enjeu. Après le G8, qui a mis les utilisateurs sur la touche et la défense de la propriété intellectuelle au centre des préoccupations, c’est au tour des Nations Unies de donner de la voix.

Dans une tonalité bien différente de celle employée par les gouvernants de ce monde.

Tous ceux qui veulent changer le monde

“Le Rapporteur Spécial considère que le fait de couper l’accès à Internet, quelle que soit la justification avancée, y compris pour des motifs de violation de droits de propriété intellectuelle, est disproportionné et donc contraire à l’article 19, paragraphe 3, du Pacte International relatif aux Droits Civiques et Politiques.”

Rapport sur la promotion et la protection de la liberté d’expression et d’opinion, page 21

Opposé à une coupure de la connexion Internet, préoccupé par la mise en oeuvre de technologies de blocage ou de filtrage “souvent en violation avec l’obligation faite aux États de garantir la liberté d’expression”: le document des Nations-Unies, rendu en fin de semaine dernière [PDF], pouvait difficilement être plus éloigné des positions prises par les gouvernants réunis à Deauville, les 26 et 27 mai derniers, à l’occasion du G8.

Les thématiques dominantes du rapport des Nations Unies

Les thématiques dominantes de la déclaration finale du G8

Dans une déclaration commune, les chefs d’État renouvelaient alors leur ”engagement à prendre des mesures fermes contre les violations des droits de propriété intellectuelle dans l’espace numérique, notamment par des procédures permettant d’empêcher les infractions actuelles et futures”. L’occasion de préparer le terrain à la signature du traité ACTA, en négociation depuis près de quatre ans, et qui vise à introduire des sanctions pénales pour les “pirates de tous les pays”.
Et mises à part les déclarations d’intention d’usage (”l’Internet est désormais un élément essentiel pour nos sociétés”, ” la censure ou les restrictions arbitraires ou générales sont incompatibles avec les obligations internationales des États et tout à fait inacceptables”), aucune mention n’a clairement hissé la protection de la liberté des internautes au-desssus d’impératifs économiques ou sécuritaires. Neutralité des réseaux, protection des données personnelles: sur ces points pourtant essentiels à la pérennité et au développement du réseau, seul a été évoqué ”le défi de promouvoir l’interopérabilité et la convergence entre [les] politiques publiques”. Du charabia diplomatique qui n’offre pas grand chose de solide. Ou de fiable.

L’ONU contre-attaque

En optant pour le contre-pied, pour ne pas dire le tâcle franc en direction des dirigeants du G8, les Nations-Unies ont marqué d’un même coup quelques points au sein de la communauté des défenseurs des libertés sur Internet. Du côté de la Quadrature du Net, on se réjouit de l’initiative, ne manquant pas au passage de relever les contradictions entre les grandes puissances et l’organisation internationale. Seul problème, de taille: si l’ONU peut gronder, elle peut difficilement passer de la parole aux actes. D’autant que l’organisation mondiale a chapeaute déjà l’Internet Governance Forum (IGF) . Sans renier la portée symbolique du rapport, non négligeable dans une sphère où la retenue diplomatique est de mise, difficile d’entrevoir son effectivité.

Il aura peut-être le mérite de faire sortir du bois les différents acteurs qui souhaitent jouer un rôle dans la sacro-sainte “gouvernance de l’Internet”. Les États bien sûr, mais également des institutions telle la Commission Européenne, dont les multiples virevoltes sur le sujet commencent à agacer. Soufflant le chaud et le froid, un jour explicitement en faveur de la neutralité sur tous les réseaux, l’autre permissive sur les dispositifs de blocage sur l’Internet mobile, la Commission n’a de cesse de faire le yoyo entre pressions opérateurs de télécommunication et intérêts des usagers. Il faut dire que la situation en Europe est loin d’être harmonisée (voir notre carte à ce sujet), le continent faisant le grand écart entre une France à la riposte graduée qui patine et des Pays-Bas qui viennent d’adopter une loi interdisant blocage et dégradation des applications sur l’Internet mobile… garantissant ainsi légalement la neutralité des réseaux.


Illustration CC FlickR: rickyli99

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http://owni.fr/2011/06/06/rapport-onu-g8-force-interouebes-internet/feed/ 2
Les femmes, clés de la lutte contre la faim http://owni.fr/2011/04/19/les-femmes-cles-de-la-lutte-contre-la-faim/ http://owni.fr/2011/04/19/les-femmes-cles-de-la-lutte-contre-la-faim/#comments Tue, 19 Apr 2011 06:28:31 +0000 Juhie Bhatia http://owni.fr/?p=57597 Ce billet a initialement été publié sur Global Voices, sous le titre “Pour éradiquer la faim dans le monde, faut-il impliquer les femmes ?”

Les femmes sont essentielles à la production de denrées alimentaires dans beaucoup de pays en voie de développement. Elles représentent en moyenne 43% de la main-d’œuvre agricole. Certains estiment que 80% des travailleurs impliqués dans l’agriculture en Afrique, et 60% en Asie, sont des femmes.

La semaine dernière, lors du forum Envision à New York, au cours d’une commission consacrée au rôle des femmes dans la réduction de la faim et de la pauvreté, l’administratrice associée et sous-secrétaire générale au Programme de Développement des Nations Unies, Rebeca Grynspan, a déclaré :

Même en parlant uniquement des zones rurales, les femmes produisent 50% de l’alimentation mondiale. Elles perçoivent seulement 1% des crédits mais elles produisent 50% de la nourriture.

En plus de ce manque de reconnaissance, un rapport publié le mois dernier par l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture indique qu’alors que le rôle des agricultrices peut varier selon les régions, elles ont partout un accès moindre aux ressources et aux opportunités que les cultivateurs masculins. Supprimer cette inégalité pourrait sortir de la faim pas moins de 150 millions de personnes.

Ma. Estrella A. Penunia, secrétaire générale de l’Association des agriculteurs d’Asie pour le développement rural durable, liste six raisons-clés pour lesquelles nous devrions nous soucier des agricultrices, y compris pour les problèmes de sécurité alimentaire. Dans le même temps, Emily Oakley, une Américaine qui a étudié la petite agriculture dans des douzaines de pays, réfléchit à la place des femmes dans l’agriculture dans un billet sur son blog intitulé “In Her Field”:

Dans la plupart des endroits que j’ai visités, les femmes ne sont pas juste des soutiens à l’agriculture : elles font équipe avec leur mari dans les tâches quotidiennes, prennent des décisions et planifient. Au Kenya, il est bien plus courant de voir une femme seule, avec un enfant emmailloté sur son dos, bêcher un champ avec une houe que de la voir accompagnée par son mari. Dans un village isolé du Népal occidental (le genre d’isolement qui signifie une demi-journée de marche jusqu’à la route la plus proche), l’agriculteur que tout le monde s’accordait à trouver le plus innovateur était une femme. Son exploitation se tenait sur le coteau comme une oasis de croissance et de diversité là où les autres fermes connaissaient l’érosion du sol et la pauvreté des champs. J’ai récemment participé à un projet entre agriculteurs en République Dominicaine, qui suivait les agricultrices dans la production commerciale en serres de poivrons. C’est juste un petit avant-goût du travail des femmes dans l’agriculture.

Une inégalité persistante et contre-productive

Beaucoup de femmes travaillent comme cultivatrices dans une économie de subsistance. Elles sont de petits entrepreneurs ou des travailleuses non payées, ou intermittentes. Donner à ces femmes les mêmes outils et les mêmes ressources qu’aux hommes, notamment un meilleur accès aux services financiers, aux équipements techniques, à la terre, à l’éducation et aux marchés, pourrait accroître la production agricole  des pays en développement de 2,5 à 4%, selon le rapport des Nations Unies. Ces gains de production pourraient, à leur tour, réduire le nombre de personnes souffrant de la faim de 12 à 17%, soit de 100 à 150 millions de personnes. En 2010, près de 929 millions de personnes étaient sous-alimentées.

D’après le rapport, l’implication des femmes pourrait aussi améliorer la sécurité alimentaire de leurs familles toutes entières, les femmes étant davantage prêtes que les hommes à dépenser un revenu supplémentaire pour la nourriture, l’éducation et d’autres besoins domestiques basiques. Pour Dipendra Pokharel, chercheur au Népal, le rôle domestique des femmes peut aussi conduire à l‘absence de prise en compte de leurs besoins:

Les agricultrices ont souvent des priorités différentes des hommes, et cela peut, dans beaucoup de cas, être lié à leur rôle direct dans l’alimentation de leurs familles. Dans les zones rurales du Népal, les hommes contrôlent traditionnellement le monde extérieur et les femmes l’intérieur de la maison. De telles perspectives traditionnelles peuvent contribuer au déséquilibre de l’information collectée par des étrangers, avec l’intention d’aider la communauté. Ce sont habituellement les hommes qui fournissent l’information aux personnes extérieures. Cela signifie que les priorités des femmes sont souvent négligées, à moins qu’elles ne soient spécifiquement prises en compte. Cela explique également le fait que les agricultrices reçoivent moins de services d’extension nécessaires à la transformation de leur système d’agriculture basé sur la subsistance vers un système plus commercial.

Les femmes agricultrices gèrent des exploitations plus petites que celles des hommes, en moyenne inférieures d’un tiers voire de la moitié de celle d’un homme, selon le rapport, et leurs fermes ont habituellement de plus faibles rendements.  Elles sont aussi moins susceptibles de posséder des terres ou d’avoir accès à des terres louées. Le rapport montre, par exemple, que les femmes représentent un peu moins de 5% des exploitants agricoles dans l’Asie occidentale et l’Afrique du nord.

Jane Tarh Takang, qui a travaillé avec des agriculteurs en Afrique de l’ouest et du centre, discute des problèmes de droit foncier dans un entretien avec Edith Abilogo, publié sur FORESTSBlog, le blog du Centre de Recherche Forestière Internationale :

Dans la plupart des communautés en Afrique, les femmes et les filles ont un accès très limité à la propriété et à la terre comparé aux garçons et aux hommes. Sans terre, elles ne peuvent pas produire de ressources pour nourrir leurs familles ou générer des revenus, et cela conduit à une reproduction du cycle de la pauvreté avec leurs enfants. Cette situation est pire quand il s’agit de veuves ou de femmes non mariées… Dans des cas où les terres agricoles existantes ont été épuisées par des pratiques agricoles intensives, les hommes préfèrent réserver les zones fertiles pour leur propre usage et laisser les moins fertiles aux femmes.

Elfinesh Dermeji, une agricultrice éthiopienne qui a assisté au séminaire sur l’égalité des sexes et l’agriculture à orientation commerciale à Addis-Abeba, raconte dans un billet sur le New Agriculturist, qu’il n’est pas toujours facile d’impliquer les femmes dans l’agriculture:

Dans certaines familles, lorsque les hommes sont ouverts et veulent que leurs épouses participent, la femme n’a pas toujours l’esprit d’entreprise ou elle n’est pas motivée. D’un autre côté,  certains hommes, lorsque les femmes sont motivées et veulent participer, ne veulent pas qu’elles quittent la maison. Ils préfèrent renoncer à ce revenu plutôt que d’avoir leur femme impliquée dans une association.

De nombreux projets déjà en route du Ghana au Philippines

Cependant, dans le monde entier, de nombreux projets impliquent des femmes agricultrices : du mouvement pour encourager les femmes à acheter des tracteurs au Ghana, aux pressions sur le gouvernement des Philippines pour autoriser la mention du nom des épouses sur les titres de propriété jusqu’à l’augmentation de l’utilisation des technologies de l’information et de la communication parmi les agriculteurs ougandais.

Sur OneWorld South Asia, Ananya Mukherjee-Reed décrit comment 250 000 membres de Kudumbashree, un réseau de 3,7 millions de femmes dans l’état indien de Kerala, ont formé des coopératives agricoles pour conjointement louer et cultiver la terre :

Dhanalakhsmi, une jeune femme à Elappully, me dit que passer d’un rôle d’ouvrière à celui de productrice a eu un profond effet sur ses enfants. “Ils me voient différemment maintenant. Lorsque nous nous réunissons pour discuter de nos fermes, de nos revenus, ou partager simplement nos problèmes, ils observent avec beaucoup d’intérêt”.

Mais les blogueurs estiment que l’on peut faire plus. Dans un billet sur Solutions, Yifat Susskind avance l’idée selon laquelle les États-Unis devraient acheter des récoltes aux agriculteurs locaux africains dans le cadre de leur aide internationale. Dipendra Pokharel affirme que les femmes des milieux ruraux doivent gagner de l’espace social et politique dans les domaines privé et public. Melissa McEwan, blogueuse sur Shakesville aux États-Unis, dénonce l’idée reçue selon laquelle seuls les hommes seraient agriculteurs, en compilant presque 100 photos de femmes agricultrices dans le monde entier.

Ma. Estrella A. Penunia insiste sur le nécessaire soutien des hommes à l’évolution du statut des femmes:

L’agriculture étant un effort de toute la famille dans beaucoup de pays en voie de développement, le soutien que les femmes agricultrices auront de leurs époux et des membres dirigeants masculins de leurs organisation peut s’avérer essentiel et d’une aide majeure pour elles. Dans des exploitations où à la fois hommes et femmes ont été sensibilisés à la dynamique de l’égalité des sexes et croient en des droits et des opportunités égaux, le potentiel d’une femme agricultrice est exploité dans sa totalité.

Illustration FlickR CC par anaxila et Aquistbe

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http://owni.fr/2011/04/19/les-femmes-cles-de-la-lutte-contre-la-faim/feed/ 7
Partager des données pour mieux réagir face aux catastrophes naturelles http://owni.fr/2010/12/12/partager-des-donnees-pour-mieux-reagir-face-aux-catastrophes-naturelles/ http://owni.fr/2010/12/12/partager-des-donnees-pour-mieux-reagir-face-aux-catastrophes-naturelles/#comments Sun, 12 Dec 2010 14:00:08 +0000 Christine Ottery http://owni.fr/?p=38949 Titre original : Le partage des données pourrait permettre d’éviter certaines catastrophes

Les catastrophes humanitaires provoquées par les tremblements de terre, inondations et autres phénomènes naturels pourraient dans certains cas être évitées si les gouvernements collectaient et partageaient les données sur les risques au niveau international. C’est ce que conclut un rapport produit par la Banque mondiale et les Nations unies.

Améliorer l’accessibilité des informations sur les dangers potentiels, comme les lignes de faille sismiques, les zones inondables, les conditions météorologiques et le régime climatique serait une “mesure relativement simple et efficace” afin d’en réduire l’impact, selon le rapport intitulé Natural hazards, unnatural disasters (“Risques naturels, désastres non-naturels”), publié le 11 novembre dernier.

La collecte et le partage de données peuvent permettre d’élaborer une carte internationale des risques destinée à faciliter des prévisions plus sophistiquées au niveau local.

Pour Apurva Sanghi, économiste principal à la Banque mondiale et auteur principal du rapport, “pour commencer, peu de pays collectent des données sur les risques – des données sur les endroits où les précédentes catastrophes ont frappés, leur fréquence, leur intensité, ainsi de suite. Et même si les données sont recueillies, elles ne sont pas rendues accessibles”.

De nombreux gouvernements et de nombreuses autorités publiques cachent leurs données ou ont besoin d’être persuadés de la nécessité de partager l’information, a-t-il dit. La publication des données peut en effet porter préjudice aux intérêts commerciaux, en dévaluant par exemple les biens dans les zones à haut risque.

Les organisations non gouvernementales tentant de faire face aux catastrophes peuvent voir leurs efforts entravés par une absence de données, d’après ce rapport, qui utilise l’Éthiopie comme une étude de cas.

Pour Sanghi, “l’absence d’informations de base signifie que les bailleurs de fonds qui veulent réduire l’impact, par exemple, de la sécheresse, ne peuvent pas prendre des décisions optimales”.

Le Bangladesh fournit l’exemple d’un pays qui a réussi à réduire l’ampleur des catastrophes, en utilisant des données pour élaborer des prévisions météorologiques appropriées et des alertes précoces sur l’éventualité d’un cyclone. Le rapport relève que les populations peuvent être protégées contre les inondations grâce aux abris et aux évacuations, évitant ainsi les frais de construction des digues de grande envergure qui peuvent nuire au débit des fleuves, ce qui peut, à son tour, porter atteinte à l’agriculture.

Sanghi ajoute que les petits pays devraient pouvoir se “greffer” sur les prévisions météorologiques de leurs plus grands voisins, qui pourraient facilement élargir leurs prévisions afin de couvrir leur territoire. Toutefois, devant la réticence de certains pays à partager des données avec leurs voisins, il suggère que des groupes de petits pays géographiquement proches pourraient investir dans les technologies de prévision conjointes.

Pour José Achache, directeur du Groupe des Observations de la Terre, une organisation qui coordonne les efforts pour la constitution du Système mondial des Systèmes d’Observation de la Terre, des progrès ont été réalisés en matière de publication des données, comme celles provenant du LandSat, un satellite de la NASA (US National Aeronautics and Space Administration), qui fournit des informations sur la qualité de l’eau, la fonte des glaciers, les espèces envahissantes, les récifs coralliens et la déforestation.

Mais il ajoute : “seule, la diffusion des données ne réduira pas l’impact des catastrophes, parce que les gouvernements doivent également appliquer des mesures plus strictes à l’aménagement du territoire, avec la construction de maisons antisismiques ou l’interdiction de construire dans les zones inondables, par exemple”.

>> Article publié initialement sur SciDev.Net sous licence CC

>> Illustrations Wikimedia Commons : Pixieslayer ; NASA

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http://owni.fr/2010/12/12/partager-des-donnees-pour-mieux-reagir-face-aux-catastrophes-naturelles/feed/ 1
Des données ouvertes contre les catastrophes naturelles http://owni.fr/2010/12/03/des-donnees-ouvertes-contre-les-catastrophes-naturelles/ http://owni.fr/2010/12/03/des-donnees-ouvertes-contre-les-catastrophes-naturelles/#comments Fri, 03 Dec 2010 09:35:39 +0000 Christine Ottery http://owni.fr/?p=33540 Titre original : Le partage des données pourrait permettre d’éviter certaines catastrophes

Les catastrophes humanitaires provoquées par les tremblements de terre, inondations et autres phénomènes naturels pourraient dans certains cas être évitées si les gouvernements collectaient et partageaient les données sur les risques au niveau international. C’est ce que conclut un rapport produit par la Banque mondiale et les Nations unies.

Améliorer l’accessibilité des informations sur les dangers potentiels, comme les lignes de faille sismiques, les zones inondables, les conditions météorologiques et le régime climatique serait une “mesure relativement simple et efficace” afin d’en réduire l’impact, selon le rapport intitulé Natural hazards, unnatural disasters (“Risques naturels, désastres non-naturels”), publié le 11 novembre dernier.

La collecte et le partage de données peuvent permettre d’élaborer une carte internationale des risques destinée à faciliter des prévisions plus sophistiquées au niveau local.

Pour Apurva Sanghi, économiste principal à la Banque mondiale et auteur principal du rapport, “pour commencer, peu de pays collectent des données sur les risques – des données sur les endroits où les précédentes catastrophes ont frappés, leur fréquence, leur intensité, ainsi de suite. Et même si les données sont recueillies, elles ne sont pas rendues accessibles”.

De nombreux gouvernements et de nombreuses autorités publiques cachent leurs données ou ont besoin d’être persuadés de la nécessité de partager l’information, a-t-il dit. La publication des données peut en effet porter préjudice aux intérêts commerciaux, en dévaluant par exemple les biens dans les zones à haut risque.

Les organisations non gouvernementales tentant de faire face aux catastrophes peuvent voir leurs efforts entravés par une absence de données, d’après ce rapport, qui utilise l’Éthiopie comme une étude de cas.

Pour Sanghi, “l’absence d’informations de base signifie que les bailleurs de fonds qui veulent réduire l’impact, par exemple, de la sécheresse, ne peuvent pas prendre des décisions optimales”.

Le Bangladesh fournit l’exemple d’un pays qui a réussi à réduire l’ampleur des catastrophes, en utilisant des données pour élaborer des prévisions météorologiques appropriées et des alertes précoces sur l’éventualité d’un cyclone. Le rapport relève que les populations peuvent être protégées contre les inondations grâce aux abris et aux évacuations, évitant ainsi les frais de construction des digues de grande envergure qui peuvent nuire au débit des fleuves, ce qui peut, à son tour, porter atteinte à l’agriculture.

Sanghi ajoute que les petits pays devraient pouvoir se “greffer” sur les prévisions météorologiques de leurs plus grands voisins, qui pourraient facilement élargir leurs prévisions afin de couvrir leur territoire. Toutefois, devant la réticence de certains pays à partager des données avec leurs voisins, il suggère que des groupes de petits pays géographiquement proches pourraient investir dans les technologies de prévision conjointes.

Pour José Achache, directeur du Groupe des Observations de la Terre, une organisation qui coordonne les efforts pour la constitution du Système mondial des Systèmes d’Observation de la Terre, des progrès ont été réalisés en matière de publication des données, comme celles provenant du LandSat, un satellite de la NASA (US National Aeronautics and Space Administration), qui fournit des informations sur la qualité de l’eau, la fonte des glaciers, les espèces envahissantes, les récifs coralliens et la déforestation.

Mais il ajoute : “seule, la diffusion des données ne réduira pas l’impact des catastrophes, parce que les gouvernements doivent également appliquer des mesures plus strictes à l’aménagement du territoire, avec la construction de maisons antisismiques ou l’interdiction de construire dans les zones inondables, par exemple”.

>> Article publié initialement sur SciDev.Net sous licence CC

>> Illustrations Wikimedia Commons : Justin1569 ; NASA

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http://owni.fr/2010/12/03/des-donnees-ouvertes-contre-les-catastrophes-naturelles/feed/ 2
Hans Rosling: des legos, des données, le futur? http://owni.fr/2010/04/03/hans-rosling-des-legos-des-donnees-le-futur/ http://owni.fr/2010/04/03/hans-rosling-des-legos-des-donnees-le-futur/#comments Sat, 03 Apr 2010 21:00:51 +0000 Media Hacker http://owni.fr/?p=11576 Cliquer ici pour voir la vidéo.

Vidéo sous-titrée en français disponible ici

Hans Rosling est professeur de santé publique internationale à l’université d’Uppsala, en Suède. Dans cette vidéo pour le projet “2020 Shaping Ideas” lancé par la marque Ericsson, il exprime la théorie selon laquelle un rééquilibrage mondial des niveaux de vie est à l’oeuvre , et qu’il va se poursuivre. Les disparités gigantesques qui existent entre les niveaux de vie à l’échelle mondiale sont pour lui la conséquence des guerres, d’une mauvaise gouvernance, et d’un état d’esprit propre aux Etats-nations qui voudrait que certains Etats soient plus égaux que d’autres. La solution? Un renforcement des pouvoirs de l’ONU afin de mettre en place une véritable gouvernance mondiale qui encadrerait les échanges marchands. Le scientifique maintient que c’est possible, et on a envie de le croire, malgré nos références crypto-gauchistes (je parle pour moi). Hans Rosling est reconnu pou ces multiples interventions au cours des fameuses conférences TED, et c’est là qu’interviennent les legos. Féru de statistiques et cherchant à les représenter de la manière la plus pertinente qui soit, il a gratifié ses auditeurs de morceaux d’anthologie dans la visualisation de données, dont celui-ci (en anglais, vost disponible chez TED):

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Et comme on se pose des questions sur la visualisation de données en ce moment, il semble intéressant de revoir ce que le monsieur avait bricolé pour comparer les statistiques des morts de la grippe A et celles de la tuberculose, en lien avec leur couverture médiatique respective:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

— > Vidéo dénichée par @sabineblanc, fan de lego devant l’éternel, sur gapminder, et traduite par mes soins.

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http://owni.fr/2010/04/03/hans-rosling-des-legos-des-donnees-le-futur/feed/ 4
Pour une charte des droits sur Internet (Jeff Jarvis) http://owni.fr/2010/03/30/pour-une-charte-des-droits-sur-internet-jeff-jarvis/ http://owni.fr/2010/03/30/pour-une-charte-des-droits-sur-internet-jeff-jarvis/#comments Tue, 30 Mar 2010 17:56:33 +0000 Benoit Raphaël http://owni.fr/?p=11223 739496-904681

Je relaie ici la proposition de Jeff Jarvis (auteur de “What Would Google Do“) de rédiger, à l’instar de la charte des droits de l’homme, une “charte des droits dans le cyberespace“.

Sa proposition est évidemment à discuter et à enrichir. Mais l’inscription d’une telle charte à l’Onu par exemple, permettrait d’installer un certain nombre de réalités. Et de faire comprendre qu’Internet n’étant pas juste un média, mais un accès à un réseau d’échanges d’informations, d’idées et de contenus, la protection de l’accès à ce réseau est devenue indispensable.
Pas très à la mode, ça, en ces temps troublés d’Hadopi et d’Acta.

Voici les propositions de Jeff, et mes commentaires:

1- Nous avons le droit de nous connecter

“C’est un préalable et une condition incontournable au principe de liberté d’expression: avant de pouvoir nous exprimer, nous devons pouvoir nous connecter.
Hillary Clinton définit ce droit comme “l’idée que les gouvernements ne devraient pas empêcher les citoyens de se connecter à Internet, aux sites, ou entre eux.”

En France, on voit que ce droit est sensiblement remis en cause depuis la loi Hadopi qui prévoit de couper l’accès à Internet aux internautes qui auront téléchargé illégalement des contenus. Couper Internet, c’est couper l’accès à l’information. C’est comme couper l’eau. Ajout (merci Authueil) : c’est d’ailleurs ce qu’avait exprimé le 10/06/09 le Conseil constitutionnel saisi après le vote de la loi Hadopi 1, reconnaissant ce droit fondamental (assimilé au droit à la liberté d’expression et de communication).
A l’aune de la reconnaissance de l’accès à Internet comme un droit, cette mesure sévère pose toujours la question de la proportion entre la sanction et l’infraction (si tant est qu’on ne discute pas la caractérisation même de l’infraction: pirater ou partager?).

2- Nous avons le droit de nous exprimer

“Personne ne doit pouvoir léser notre liberté d’expression. Les contraintes à cette dernière doivent être limitées au minimum.”

La question pouvant être celle-ci : les canaux de diffusion de l’info se rapprochant de plus en plus des mécanismes du peer-to-peer (d’internaute à internaute vs diffusion de masse), du privé-public, le principe de neutralité du Net doit-il nous inciter à donner plus de souplesse aux conversations sur le réseau que n’en donnent les médias ? Ou pas, tout étant public donc soumis aux mêmes règles de publication ? Ou alors, a minima, devons-nous mettre en place des règles de publication préalables à toute expression libre (une connection préalable à un forum fermé par exemple permettrait de passer de la sphère publique au “privé collectif”…) ? Ou bien doit-on tout laisser ouvert et mettre en place une charte de balisage, comme je le proposais dans mon dernier post ?

3- Nous avons le droit de nous exprimer dans nos langues.

“La domination de la langue anglaise s’est estompée au fil de l’arrivée de nouveaux langages sur le Net. Ce qui est une bonne chose. À condition que, dans cet Internet polyglotte, nous puissions bâtir des ponts entre les langues. Nous voulons parler dans nos propres langues, mais aussi nous parler entre nous.”

C’est l’un des grands enjeux de ces prochaines années. Et un levier de développement non négligeable des médias Internet notamment, dont les modèles économiques souffrent de l’étroitesse des marchés nationaux. De nouvelles technologies permettent désormais de traduire simultanément des vidéos (en analysant le texte) dans plusieurs langues. Reste à améliorer les traductions en temps réel, un peu comme cela se pratique dans les congrès, le web étant une sorte de conférence transnationale. Pour cela, il faudra s’appuyer sur les algorithmes et les communautés.

4- Nous avons le droit de nous assembler

“L’Internet nous permet de nous réunir sans passer par des organisations et de collaborer. Cette possibilité est menacée par certains régimes, autant que la liberté d’expression.”

C’est une des particularité d’Internet : la mise en réseau simultanée des données et des individus a ringardisé le mode d’organisation des associations loi 1901, jusqu’aux traditionnelles manifestations dans la rue. Plus liquides, ces capacités de réunion offertes par Internet sont à la fois plus puissantes (parce que diffuses et spontanées), mais aussi plus fragiles (moins organisées).

5- Nous avons le droit d’agir

“Ces premiers articles sont une suite : nous nous connectons pour nous exprimer et nous assembler, et nous nous assemblons pour agir, et c’est comme cela que nous allons changer le monde. Pas seulement mettre en avant les problèmes, mais se donner les moyens de les régler. Voilà ce qui menace les institutions qui voudront nous stopper.”

6- Nous avons le droit de contrôler nos données

“Vous devez pouvoir accéder aux données vous concernant. Ce qui vous appartient vous appartient. Nous voulons qu’Internet opère comme un principe de portabilité, ainsi vos informations et vos créations ne seront pas prisonnières d’un service (privé) ou d’un gouvernement, ainsi vous garderez le contrôle. Sans oublier que quand le contrôle est donné à quelqu’un, il est retiré à quelqu’un d’autre. Le diable se cache dans ces détails. Ce principe fait allusion au copyright et à ses lois, qui définissent et limitent le contrôle ou la création. Ce principe pose également la question de savoir dans quelle mesure la sagesse du peuple appartient au peuple…”

La question du contrôle des données personnelles est plus sensible aux États-Unis qu’en France où la loi “Informatique et liberté” protège les citoyens. En partie, seulement, face à la mondialisation des services sur Internet et à la complexification des échanges sur le réseau.
Plus sensible : la protection et le contrôle de nos créations. De quoi sommes nous propriétaires, que pouvons nous contrôler dans un univers d’échanges et de work in progress, où tout contenu s’enrichit de l’apport des autres ?

7- Nous avons le droit à notre propre identité

“Ce n’est pas aussi simple qu’un nom. Notre identité numérique est faite de nos noms, adresses, discours, créations, actions, connections. Notez également que dans les régimes répressifs, maintenir l’anonymat (c’est-à-dire cacher son identité) est une nécessité. Ainsi l’anonymat, avec tous ses défauts, son passif et ses trolls, doit-il également être protégé en ligne pour protéger le dissident et ceux qui dénoncent les pratiques illégales ou immorales dans leurs entreprises ou institutions. Notez enfin que ces deux articles – contrôle de nos données et de nos identités – constituent un droit à l’intimité.”

Ces deux articles font référence à la protection mais surtout au contrôle de nos données, de notre identité, de notre vie privée. Ce qui, dans un monde googlisé et facebookisé est de plus en plus délicat. Le Net est transparent, infiniment transparent, ce qui est une bonne chose pour la liberté des citoyens face aux institutions, et pour l’accès à la connaissance et à l’information, donc au pouvoir, donc à la démocratie. Mais ce peut être également terrible pour l’individu s’il n’a pas les moyens de se protéger. Toutes ces questions sont loin d’être réglées. Le risque étant qu’au nom de la protection de l’intimité, on restreigne le droit à l’information. Passionnant débat.

8- Ce qui est public est un bien public

“L’Internet est public. En effet, c’est un espace public (plus qu’un medium). Dans notre précipitation à vouloir protéger l’intimité, nous devons faire attention à ne pas restreindre la définition de ce qui est public. Ce qui est public appartient au public. Rendre privé ou secret ce qui est public sert la corruption et la tyrannie.”

C’est tout l’enjeu de la révolution qu’apporte Internet, en bousculant les frontières entre le public et le privé.
Dans quelle mesure la vie privée des hommes politiques, comme leur état de santé ou leurs liaisons, sert-elle l’information ? La question est loin d’être tranchée.

C’est également tout le débat en France sur l’ouverture des bases de données publiques aux citoyens, dont pourraient s’emparer les médias pour développer ce qu’on appelle le datajournalisme. Contrairement aux États-Unis, les données sont quasi-inaccessibles en France, ce qui constitue pour beaucoup une entrave au droit à l’information.

Mais, au-delà, cette question concerne également celle de la valeur de l’information, de sa propriété, et de ce que peuvent en faire les citoyens. À partir du moment où une information a été publiée, dans quelle mesure puis-je la reproduire pour la partager ? La pratique du partage fait partie de l’ADN d’Internet, elle bouleverse les lois du copyright. Quand les majors et les médias parlent de “copie illégale”, les internautes parlent de partage.
La généralisation du “RT” (rendu populaire par Twitter : re-tweeter, c’est à dire re-bloguer, reprendre l’info à l’identique pour la partager tout en la sourçant) va dans le sens d’une indispensable libéralisation du partage de l’information. Ce qui pose la question de la valeur de l’info et de qui la finance, si tout le monde peut la partager gratuitement.

9- L’Internet doit être construit et piloté de façon ouverte

Il doit continuer d’être construit et opéré sur la base de standards ouverts (comme HTML, PHP…). Il ne doit pas être contrôlé par aucune entreprise ou gouvernement. Il ne doit pas être taxé. C’est l’ouverture de l’Internet qui lui donne sa liberté. Et c’est cette liberté qui définit l’Internet.

Internet=liberté. Liberté=Internet. Internet est une précieuse découverte, un incroyable outil d’émancipation et de développement qui doit continuer d’être préservé.
Si les dérives que cette liberté entraîne parfois (et auto-corrige souvent) appellent à une prise de conscience collective, elles ne doivent pas justifier la prise de contrôle des échanges digitaux par un gouvernement ou un lobby. La force d’Internet est d’être un réseau, un nouvel espace, qui échappe aux individus et aux personnes morales. Son déploiement à grande vitesse pose donc continuellement la question du contrôle. Pas seulement du Net (pour les gouvernements et les entreprises), mais aussi de notre propre liberté (pour les individus).

C’est pour cela qu’avant de commencer à parler de devoirs, il faut commencer par les droits. C’est toute la vertu de la proposition de Jeff Jarvis.
Source : “A Bill of Rights in Cyberspace” (Buzzmachine)

Billet initialement publié sur Demain tous journalistes ?

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