OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Internet ne peut pas être contrôlé, autant s’y faire http://owni.fr/2011/03/29/internet-ne-peut-pas-etre-controle-autant-sy-faire/ http://owni.fr/2011/03/29/internet-ne-peut-pas-etre-controle-autant-sy-faire/#comments Tue, 29 Mar 2011 17:14:38 +0000 Laurent Chemla http://owni.fr/?p=54093 [Remarque introductive de AkA, éditeur du Framablog, à cet article publié en juillet 2010] : Ce n’est pas le premier article de Laurent Chemla reproduit sur le Framablog (cf L’avenir d’Internet). Par ailleurs je le remercie de m’avoir ouvert les yeux en 1999 avec Internet : Le yoyo, le téléporteur, la carmagnole et le mammouth. On trouve un article puissant et inédit de Laurent Chemla en ouverture (ou prolégomènes) du tout récent framabook AlternC Comme si vous y étiez. Historiquement, techniquement, économiquement et moralement, Internet ne peut pas être contrôlé. Autant s’y faire. Et, contrairement à d’autres, nous nous y faisons très bien.

Plus que jamais, à l’heure où j’écris ces lignes, Internet est la cible des critiques du pouvoir. Il serait responsable de toutes les dérives, de toutes les ignominies, il nous ramènerait aux pires heures de notre histoire et serait le lieu de toutes les turpitudes. Bon. Depuis longtemps, je dis qu’il est normal – de la part de ceux qui disposaient de l’exclusivité de la parole publique – de s’inquiéter de l’avènement d’un outil qui permet à tout un chacun de s’exprimer. Pas de quoi s’étonner, dès lors, des attaques furieuses que subit le réseau. Tant qu’il ne s’agit que de mots…

Et l’Etat légifère à tour de bras

Oh bien sûr, le législateur étant ce qu’il est, il tente souvent d’aller au delà des mots. Il fait aussi des lois. C’est son métier. Or donc – sans volonté d’exhaustivité – nous avons vu depuis 1995 un certain nombre de tentatives de « régulation », de « contrôle », voire même de « domestication ». Il y a eu la loi Fillon, la commission Beaussant, la LCEN, la DADVSI, la LSI, la LSQ, et plus récemment HADOPI et LOPPSI. Beaucoup d’acronymes et de travail législatif pour un résultat plus que mince : ce qui n’a pas été retoqué par le Conseil Constitutionnel s’est toujours avéré inapplicable. La seule chose qui reste, c’est le principe d’irresponsabilité pénale des intermédiaires techniques (LCEN). Grand succès !

On pourrait imaginer que le pouvoir apprendrait quelque chose d’une telle suite d’échecs. On pourrait penser, par exemple, qu’il mesurerait le risque de vouloir créer des lois d’exceptions selon qu’on s’exprime sur Internet ou ailleurs. Que nenni : aujourd’hui encore, j’apprends qu’une député vient de se ridiculiser en proposant d’encadrer le journalisme « en ligne ». J’ai hâte. On en rigole d’avance.

Mais qu’est qui rend Internet si imperméable à ces tentatives réitérées de contrôle ? J’y vois (au moins) quatre raisons majeures :

La première (dans tous les sens du terme) est historique. À la demande de l’armée américaine, qui souhaitait trouver une parade au risque d’une attaque nucléaire contre son réseau de télécommunication, Internet a été inventé à la fin des années 1960 (dans l’Amérique de Woodstock et de la lutte contre la guerre du Vietnam) par de jeunes universitaires qui rêvaient d’un monde dans lequel l’accès à un réseau mondial de communication serait un droit pour tous (pour que son impact social soit positif) .

À l’époque de Mac Luhan, les bases théoriques du futur réseau sont toutes influencées par l’utopie du « village global » et teintées d’idéologie libertaire. Le principe selon lequel la rédaction d’une RFC (texte définissant un des standards d’Internet) doit être ouverte à tous, scientifique ou non – et son contenu libre de droit – est adopté en avril 1969. Quoi d’étonnant dès lors si le résultat est un réseau presque entièrement décentralisé et non hiérarchique ? Après tout, c’est bien ce que l’armée américaine avait demandé à ses jeunes ingénieurs : un réseau centralisé est facile à détruire (il suffit d’attaquer le centre).

Tout ce qui est facile à contrôler est facile à détruire.
Internet est difficile à détruire.
Donc Internet est difficile à contrôler.

Il faudrait, pour qu’Internet soit plus aisément « domestiquable », que ses bases théoriques mêmes soient revues (à l’exemple du Minitel pour lequel l’émission de contenus était soumise à l’approbation préalable de France Telecom). Mais comment démanteler l’existant et interdire l’utilisation d’une technologie ayant fait ses preuves à tous ceux qui l’ont adoptée depuis des années ?

Et surtout – c’est la seconde raison qui fait d’Internet un bastion dont la prise semble bien difficile – le réseau est international. On peut, même si c’est difficile à envisager, imaginer qu’un pays impose à ses citoyens l’usage d’une technologie « contrôlée » plutôt qu’une autre, trop permissive. Mais quel pouvoir pourrait faire de même à l’échelle du monde ?

Et comment, dès lors qu’il existerait ne serait-ce qu’un seul endroit dans le monde qui protège la liberté totale de communication (comme c’est le cas depuis peu de l’Islande), empêcher les citoyens et les entreprises du monde entier d’exporter dans ce lieu une communication désormais dématérialisée ? Pour y parvenir, il faudra non seulement pouvoir contrôler tel ou tel réseau imaginaire, mais aussi réussir à interdire toute communication internationale… Mission impossible. Et puis, comment imaginer la fin des « paradis numériques » dans un monde qui n’a jamais réussi à obtenir celle des paradis fiscaux ?

Internet est supranational.
Il existera toujours des paradis numériques.
Donc l’information ne pourra jamais être contrôlée.

D’autant plus – et c’est la troisième raison majeure qui rend dangereuse toute tentative de contrôle des réseaux – qu’Internet est devenu désormais une source de croissance non négligeable. Une croissance qui dépend d’une législation pérenne et qui surtout va faire l’objet d’une concurrence effrénée entre les pays.

On n’imagine pas aujourd’hui une grande entreprise, telle que Google ou Facebook, avoir son siège social dans un pays dont la fiscalité n’est pas, disons, encourageante. Comment imaginer que demain une entreprise innovante, source d’emplois et d’impôts, se créera dans un pays dont la législation imposerait un contrôle trop strict de l’information diffusée ?

«Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression »

Tout contrôle nécessite une infrastructure plus chère, tant humaine que technique. Il va de soi qu’une entreprise capitaliste choisira plutôt, si elle a le choix, le pays d’accueil dont la législation numérique sera la plus laxiste, qui récupérera du coup les emplois et les impôts (et je ne dis pas que c’est bien : je dis juste que c’est dans ce monde là qu’on vit). Et même avant d’en arriver là : imaginons qu’un pays impose le filtrage à la source de tout contenu illégal (en passant outre la difficulté technique inhérente). Quel entrepreneur de ce pays osera se lancer dans un nouveau projet novateur, sachant qu’il sera immédiatement copié par un concurrent vivant, lui, dans un paradis numérique et qui ne sera pas soumis aux mêmes contraintes ?

Internet est solide, c’est vrai, mais l’innovation reste fragile, et est souvent l’oeuvre de petites structures très réactives et pécuniairement défavorisées. Les lois votées à l’emporte-pièces sans tenir compte de cette fragilité-là sont autant de balles tirées dans le pied de la société toute entière.

La concurrence est mondialisée.
Une législation de contrôle coûte cher.
Donc les lois de contrôle d’Internet sont source de délocalisation.

Malgré tout il existe bel et bien des règles de vie supranationales et qui s’imposent à tout pays se voulant un tant soit peu démocratique. Mais si. Je vais citer ici l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Lisez-la bien :

Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.

Elle a été rédigée en 1948. Bien avant Internet, même si à la lire on a l’impression qu’elle a été écrite spécialement pour lui. Car en effet, il n’existait pas grand chose, avant Internet, pour « recevoir et répandre sans considération de frontière les informations et les idées ». Il faut croire que ses rédacteurs étaient visionnaires… Comment s’étonner, à la lecture de cet article, du nombre de censures que notre Conseil Constitutionnel a opposé aux diverses velléités de contrôle que le pouvoir a tenté d’imposer depuis 15 ans?

Le droit de recevoir et diffuser de l’information est inaliénable.
Internet est à ce jour l’unique moyen d’exercer ce droit.
Donc tout contrôle d’Internet risque d’être contraire aux droits de l’homme.

Sauf à s’exonérer des grands principes fondamentaux, et donc à vivre dans une société totalitaire, le contrôle ou le filtrage d’Internet se heurtera toujours à la liberté d’expression. Les Etats peuvent l’accepter, et à l’instar de l’Islande décider d’en profiter, ou refuser de le voir et, à l’instar de la France, se heurter sans cesse à un mur en essayant encore et encore de réguler ce qui ne peut l’être.

Historiquement, techniquement, économiquement et moralement, Internet ne peut pas être contrôlé.
Autant s’y faire.

> Article Laurent Chemla – juillet 2010 – publié initialement sur Framablog sous le titre Internet ne peut pas être contrôle, autant s’y faire.

> Illustrations Flickr CC Kalexanderson, Balleyne et Kirklau

Pour rappel toute l’équipe l’AlternC était à La Cantine lundi 28 mars dernier pour fêter simultanément la sortie du livre, les dix ans d’AlternC et la version 1.0 du logiciel !

Vous pouvez soutenir Framasoft sur leur site.

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Le nouveau Casino relaxé face à l’inspection du travail http://owni.fr/2011/02/01/le-nouveau-casino-relaxe-face-a-linspection-du-travail/ http://owni.fr/2011/02/01/le-nouveau-casino-relaxe-face-a-linspection-du-travail/#comments Tue, 01 Feb 2011 14:03:17 +0000 Lara Beswick http://owni.fr/?p=29956 Le 27 Janvier 2011, le tribunal correctionnel de Paris s’est prononcé en faveur du Nouveau Casino et des 11 parties accusées de “travail dissimulé” par l’inspection du travail. Le code du commerce assimile le spectacle vivant à un acte commercial et le code du travail considère donc que tout artiste se produisant devant du public est présumé salarié. Le contentieux qui dure depuis 2006 a donc permis de reconnaître qu’un artiste peut déroger à la présomption de contrat de travail. Le statut d’amateur ou d’artiste non salarié, est finalement reconnu et le lien de subordination par voie de contrat de travail d’un artiste avec un organisateur de spectacles ou promoteur professionnel n’est plus irréfragable. Ce grand pas dans l’histoire du spectacle vivant français ouvre désormais la question de l’encadrement de ce statut dont les abus existent déjà et risquent de se multiplier au vu de la clarification du droit opéré par cette décision. Cet incident soulève aussi l’inexistence d’un système permettant de faciliter l’accès aux scènes professionnelles par des artistes en développement.

Les faits

Le gérant du Nouveau Casino, est accusé avec 11 autres personnes morales gérants de structures organisatrices d’événements (spectacles vivants) par l’administration (inspection du travail), peu aux faits des réalités du secteur mais conformément aux interprétations des textes législatifs en vigueur. Elle considère que les exploitants de la salle mythique ont eu recours, à plusieurs reprises, à des entreprises pratiquant le “travail dissimulé”. Plus concrètement, les associations ou organismes co-réalisateurs de 10 événements ont permis à certains de leurs membres de participer bénévolement aux représentations et n’ont donc pas effectué de “déclaration préalable à l’embauche” pour ces volontaires. Dans la plupart des cas, ces artistes payaient une adhésion aux associations organisatrices et ne souhaitaient pas être rémunérés alors que les intermittents ayant participé aux événements considèrent cette participation comme une activité accomplie pendant leur temps de loisir, donc à titre gratuit. Seulement voilà, le statut des artistes n’étant pas clair en France, l’inspection du travail, a dans ce cas considéré, sur la base de l’ordonnance de 1945 que tout artiste se représentant devant un public est supposé bénéficier d’un salaire – et ceci de façon irréfragable – à moins qu’il soit travailleur indépendant.

Laurent Sabatier (Directeur du Nouveau Casino) et son équipe, passionnés de musique, considèrent qu’il est de leur devoir d’accompagner le développement d’artistes en voie de professionnalisation et la pratique amateur en mettant à disposition leur structure professionnelle.

La loi

Un décret de 1953, définit l’artiste amateur ainsi:

Est dénommé « groupement d’amateurs » tout groupement qui organise et produit en public des manifestations dramatiques, dramatico-lyriques, vocales, chorégraphiques, de pantomimes, de marionnettes, de variétés, etc., ou bien y participe et dont les membres ne reçoivent, de ce fait, aucune rémunération, mais tirent leurs moyens habituels d’existence de salaires ou de revenus étrangers aux diverses activités artistiques des professions du spectacle.
Ce décret permettrait donc aux amateurs de déroger à la présomption salariale. Or, dans le cas résolu ce 27 Janvier, le gérant du Nouveau Casino n’aurait pas dû ignorer que ses partenaires étaient dans l’obligation de fournir une fiche de paye à ses adhérents.

Le statut des artistes amateur reste imprécis et la collaboration avec des structures professionnelles périlleuse.

La présomption de salariat qui découle de la fameuse “ordonnance de 45″ participe à la “mort de l’amateurisme” et empêche les défricheurs de têtes de faire leur devoir. La plupart des associations impliquées dans ce procès ont cessé leurs activités et ce sont autant de passionnés que l’on empêche de pratiquer, faire connaître ou se faire connaître.

IRL

Il faut reconnaître que si la professionnalisation est souvent souhaitée par de nombreux artistes et est encouragée par des structures comme le Nouveau Casino, la phase de développement qui précède l’obtention de ce statut nécessite quelques sacrifices financiers. L’industrie du disque ne pouvant, ou ne voulant, plus supporter ce risque, ce travail de développement est de plus en plus délégué aux producteurs de spectacle vivant. Le Nouveau Casino a accepté à plusieurs reprises de co-réaliser, à perte, des événements culturels pour le bien de l’art: une activité non profitable, qui s’appuie sur son savoir-faire professionnel. Les amateurs, enchantés de ne plus avoir à se faire ponctionner par de petits café-concerts, mal équipés et dont les gérants sous-estiment souvent la valeur, se réjouissent de pouvoir se produire sur une scène digne de ce nom.

La loi, en décalage avec la réalité des pratiques pour ce qui concerne la présomption de salariat pour les artistes, a déjà fait l’objet de demande de révision à plusieurs reprise. Le Prodiss, (Union du spectacle musical et de variété) a formulé en 2009 cinq propositions en vue de promouvoir la création et la diversité des spectacles. L’une d’elle porte sur la clarification du statut des artistes.
En 2008, M. Philippe Madrelle adresse un courrier à Christine Albanel ou il appelle l’attention de Madame la ministre de la Culture et de la Communication sur l’inquiétude des organisateurs de spectacles vivants quant à la réglementation des conditions de la participation des amateurs dans le spectacle vivant.

Christine Albanel, à son arrivée rue de Valois en 2007 avait rappelé qu’elle « n’a jamais fait part de la moindre volonté de légiférer sur un tel domaine » concernant un texte qui visait à la fois à « donner un véritable statut à la pratique amateur afin de l’encourager et de la développer » et à « apporter une sécurité juridique aux organisateurs de spectacles vivants » qui ont recours à des non professionnels.” (source quobuzz magazine).

Les exemples de cas démontrant le besoin de clarifier ce statut sont nombreux mais il aura fallu attendre un long procès et la cession d’activité de multiples groupements d’artistes actifs pour se rendre compte de l’absurdité du système.

Le vendredi 27 Janvier 2011 a sonné le glas de cette incohérence judiciaire et a reconnu l’existence d’artistes amateurs en relaxant la totalité des parties accusés.

Nous nous réjouissons de l’indépendance que cette décision permet aux artistes. Paradoxalement cette victoire représente un danger assuré. L’abus de ce statut, s’il n’est pas rapidement légiféré et encadré, est assuré et non souhaitable.

Malgré la satisfaction de Laurent Sabatier quant à cette décision judiciaire, il ne prendra plus le risque d’organiser un événement comme il avait l’habitude de le faire. Il déplore l’incompréhension persistante des institutions face à son métier. Il voudrait que les structures en ayant le pouvoir encouragent les pratiques qui consistent à organiser des événements mixtes confondant amateurs et professionnels et permettent de faciliter les démonstration d’artistes en développement en procurant un soutien économique aux salles et organisateurs compétents, allant jusqu’à inclure cette responsabilité dans leur cahier des charges.

Patrice Mancino, enthousiasmé par cette reconnaissance des réalités craint que cette jurisprudence ne soit utilisée à des fins moins romantique qu’un concert entre passionnés sur une scène réputée.

Les artistes, souvent inconscients de l’abus dont ils sont victimes devraient être capables de vérifier la bonne foi de l’organisme producteur, une forme de labélisation devrait être délivrée aux personnes ou structures habilités à découvrir.

Car l’interprétation à laquelle nous avons été exposés lors de ladite procédure voulait faire croire que les organisateurs ou associations avaient un ascendant moral et un pouvoir de persuasion tel qu’ils auraient poussé des artistes à accepter d’être bénévoles à l’insu de leur plein gré. Il ne faut pas exagérer, d’autant plus dans le cadre d’une organisation associative, si les bénévoles (organisateurs ou musiciens) ont autre chose à faire le jour d’un concert, ils n’hésitent à décliner l’invitation. (Patrice Mancino)

Si la plupart des associations qui ont été piégées par cette incohérence juridique ont dû cesser leurs activités, elles se réjouissent de la future possibilité pour des défricheurs, découvreurs de talent de pouvoir exister à nouveau.

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Crédits photos CC flickr: http: caveman; cayusa; mommy peace; blumpy

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L’Islande, nouveau paradis pour la liberté d’expression? http://owni.fr/2010/06/24/islande-nouveau-paradis-pour-la-liberte-dexpression/ http://owni.fr/2010/06/24/islande-nouveau-paradis-pour-la-liberte-dexpression/#comments Thu, 24 Jun 2010 10:22:18 +0000 Astrid Girardeau http://owni.fr/?p=19828 Dans la nuit du 15 juin dernier, le Parlement islandais, l’Alþingi, a voté à l’unanimité la résolution «Icelandic Modern Media Initiative» (IMMI) (littéralement «Initiative Islandaise rela­tive aux médias modernes»). Ce texte vise à faire du pays un «refuge» ou «paradis» pour le journalisme d’investigation, et plus généralement à renforcer «la protection des libertés d’expression et d’information» en Islande, et dans le monde.

L’objectif est de créer une «cadre légal exhaustif» qui garantisse une «protection renforcée» pour les sources, journalistes et publications, et sécurise les communications et données. Soutenue par dix-neuf parlementaires islandais, dont Birgitta Jonsdottir (parti Mouvement), mais aussi le site WikiLeaks et des organisations (Global Voices, la Quadrature du net, etc.), Smari McCarthy, responsable de l’IDFS et Eva Joly, l’initiative doit maintenant être transposée en loi.

L’origine de l’IMMI

L’origine de l’initiative remonte à l’été 2009. Le 30 juillet, WikiLeaks fait fuiter un document interne de la banque islandaise Kaupthing Bank, dévoilant les pratiques financières douteuses de cette dernière. Les faits datent de septembre 2008, alors que le pays est en pleine crise financière, et que deux semaines avant la mise sous tutelle de la banque. Dès le lendemain, le site reçoit une mise en demeure lui demandant de “retirer immédiatement” le document.
De son côté, le 1er août, la RUV, la chaîne nationale de télévision islandaise, décide de couvrir le sujet dans son édition du soir. A son tour, elle reçoit une mise en demeure pour déprogrammer le sujet. La chaîne s’exécute, mais diffuse tout de même un lien vers la page WikiLeaks. Cela fait grand bruit en Islande. D’autant que l’ordre a été donné par le commissaire de Reykjavik, Rúnar Guðjónsson, dont le fils, dirigeant de l’Association islandaise des services financier, est le porte-parole des banques en faillite du pays.

Qu’est-ce qu’un «paradis» en matière de liberté de l’information ?

«Dans le cadre de l’IMMI, la notion de «paradis» signifie que nous prenons toutes les meilleures législations possibles du monde entier afin de renforcer la liberté d’expression, d’information et de parole», nous explique Brigitta Jónsdóttir . «C’est basé sur le même concept que les paradis fiscaux, ils rassemblent toutes les meilleures lois du monde entier pour créer le secret ultime, nous nous voulons la transparence ultime.»

«C’est basé sur le même concept que les paradis fiscaux, ils rassemblent toutes les meilleures lois du monde entier pour créer le secret ultime, nous nous voulons la transparence ultime.»

Actuellement, les deux textes législatifs considérés comme les plus protecteurs du monde pour la liberté de la presse et la protection des sources sont la loi constitutionnelle sur la liberté de la presse (Freedom Press Act) de Suède et la loi sur la protection des sources journalistes de 2005 de Belgique. Auxquels s’ajoute le Premier Amendement de la constitution des Etats-Unis.

Trois pays où sont aujourd’hui principalement hébergés les serveurs de WikiLeaks. Les contenus du site sont eux publiés depuis la Suède car le chapitre trois du Freedom Press Act garantit l’anonymat des sources. Non seulement, il interdit d’enquêter sur l’identité de sources confidentielles, mais le fait de divulguer une telle source est puni par une amende ou de l’emprisonnement. Grâce à cette combinaison, WikiLeaks explique que s’ila été attaqué une centaine de fois depuis sa création, il n’a, à ce jour, jamais perdu.

Le “tourisme de la diffamation”

“Les grands journaux sont régulièrement censurés par le coût des poursuites judiciaires. Il est temps que cela cesse. Il est temps qu’un pays dise, trop c’est trop, la justice doit être vue, l’histoire préservée et nous offrirons un abri contre la tempête” expliquait Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, en février dernier. Les poursuites judiciaires sont la plus grande menace du journalisme. Via notamment ce qui est appelé le “tourisme de la diffamation“, c’est-à-dire le fait d’intenter des procès dans des pays aux juridictions les plus défavorables, sans tenir compte du lieu où sont basées les parties.

Ainsi la loi anglaise sur la diffamation est particulièrement hostile aux journalistes et médias, et peut être appliquée pour des délits commis à l’autre bout du monde. “C’est pour cette raison que des éditeurs étrangers comme The New York Times ou The Washington Post envisagent à présent de suspendre leur publication au Royaume-Uni et de bloquer l’accès à leurs sites, explique le Sunday Times. S’ils ne sont pas diffusés sur le territoire britannique, leurs textes ne sont pas susceptibles de constituer des actes de diffamation, donc les éditeurs ne risquent pas de payer de lourds dommages et intérêts.” Avant d’ajouter : ” Et encore, cela ne suffira peut-être pas.

En effet, la loi peut également couvrir Internet. Rachel Ehrenfeld, chercheuse américaine, spécialiste sur le terrorisme, en a fait les frais. Dans son livre, de “Funding Evil: how terrorism is financed and how to stop it, elle accuse le riche homme d’affaires saoudien Sheik Khalid bin Mahfouz de financer des groupes terroristes. Ce dernier a décidé de la poursuivre. Il a pu l’attaquer à Londres pour la vente, via Internet, de 23 exemplaires de son livre “, à des lecteurs britanniques. Et Rachel Ehrenfeld a été condamnée à payer 110.000 £ (130.000 euros) de dommages et intérêts.

Que prévoit l’initiative ?

L’objectif de l’IMMI est de faire de l’Islande «un envi­ron­ne­ment attrac­tif pour l’installation d’organes de presse inter­na­tio­naux, de start-ups de nou­veaux médias, d’organisations de défense des droits de l’homme et de centres de don­nées Internet”. Dans les grandes lignes (représentées dans le schéma ci-dessous), elle vise à faire évoluer la loi islandaise (Icelandic Freedom of Information law) afin de garantir une protection de toute la chaîne. Soit protéger les sources anonymes, et ceux qui livrent des fuites touchant à “l”intérêt général” ; les communications entre sources et journalistes ou médias ; les intermédiaires, en garantissant une immunité aux fournisseurs d’accès Internet et opérateurs.

L’initiative veut aussi statuer sur la durée de responsabilité d’une publication en ligne. Dans plusieurs affaires pour diffamation sur Internet, des arrêts rendus par des cours en Europe, dont la Cour européenne des droits de l’homme, ont considéré que chaque nouvelle lecture est une nouvelle publication. Cela a permis de faire retirer des articles des années après leur publication originale. “Par exemple, en 2008, pour éviter les interminables frais de justice, The Guardian a supprimé plusieurs articles initialement publiés en 2003, qui signalaient la condamnation pour corruption d’un milliardaire impliqué dans le scandale Elf Aquitaine“, rapporte l’IMMI.

Elle veut également protéger du “tourisme de diffamation” en permettant de faire un contre-procès en Islande, et limiter les restrictions préalables, souvent utilisées pour empêcher une publication. Et souhaite enfin créer le prix Islandais pour la liberté d’expression.

Les critiques : inapplicable légalement et techniquement

Certains émettent des critiques sur la réelle portée internationale d’une telle loi. Ainsi le site Nieman Journalism Lab s’interroge : “bien que le paquet législatif paraît très encourageant du point de vue de la liberté d’expression, les avantages pratiques pour les organisations extérieures à l’Islande ne sont pas clairs”. Il se réfère à un article d’ Arthur Bright, du Citizen Media Law Project. Ce dernier estime que l’IMMI ne peut pas changer le principe en vigueur au niveau international, notamment dans les affaires de diffamation en ligne. Principe selon lequel, dit-il, il y a publication au moment du download, et non de l’upload. Selon lui, le fait qu’une publication soit hébergée sur un serveur en Islande ne l’empêchera donc pas d’être poursuivie dans d’autres pays. L’IMMI ne peut pas être “la forteresse journalistique qu’elle est censée être, critique t-il. Même si les lois d’Islande offrent les meilleures protections au monde, elles restent une simple Ligne Maginot”.

Interrogée sur ces attaques, Brigitta Jónsdóttir répond : “une fois que la loi sera passée on verra bien si Arthur Bright a raison ou si, et ça ne serait pas la première fois, il a tort. A ce stade, son avis n’est que spéculations”.

De son côté, Tom Foreski, de Silicon Valley Watcher émet des doutes sur la capacité de l’Islande à pouvoir fournir assez de bande passante si le pays venait à accueillir de nombreux serveurs de médias. Selon lui, “de nouvelles lignes sont prévues, mais à cause de la crise financière de l’Islande, il n’y aucun garantie de quand cela va se faire”.

“Et si nous demandions à Bruxelles une EUMMI?”

Reporters sans frontières a salué “un projet de loi exemplaire en matière de liberté d’information”, et qualifié l’initiative d’‘ambitieuse et positive”. Tout en marquant une certain réserve — “même s’il reste à voir quelles seront les répercussions exactes de cette loi, en particulier sur la protection juridique des journalistes” — RSF estime que “l’Islande s’inscrit en précurseur. Nous espérons qu’elle servira d’exemple à d’autres gouvernements”.

De son côté, Jérémie Zimmermann, de la Quadrature du Net nous indique : «l’IMMI pourrait être la démonstration éclatante qu’une protection sans compromis de la liberté d’expression sur Internet permet d’améliorer les sociétés et la démocratie, mais également de stimuler la croissance économique. A l’heure où de nombreux gouvernements décident des politiques toujours plus répressives allant à l’encontre des citoyens, comme l’ACTA ou le filtrage du Net, l’initiative Islandaise doit faire figure de modèle.» Avant de conclure : “Et si nous demandions à Bruxelles une EUMMI ? »

L’initiative votée, il faut désormais s’attaquer à la partie législative. “Le gouvernement de l’Islande doit changer treize lois différentes dans quatre ministères, nous précise Brigitta Jónsdóttir. Toutes les lois ne seront pas adoptées à la même date, nous estimons que la mise en place de ces lois prendra d’un an à un an et demi”.

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Traité secret sur l’immatériel http://owni.fr/2010/04/27/acta-traite-secret-sur-l%e2%80%99immateriel/ http://owni.fr/2010/04/27/acta-traite-secret-sur-l%e2%80%99immateriel/#comments Tue, 27 Apr 2010 14:36:56 +0000 Florent Latrive http://owni.fr/?p=13718

Alors que plusieurs pays ont signé l’Acta en début de mois, nous revenons sur les ambitions de ce traité commercial anti-contrefaçon jusqu’ici négocié dans le plus grand secret. Si le “secret” a été (quelque peu) levé, il semble nécessaire de démontrer à quel point ACTA “porte  un projet politique d’une grande clarté”. C’est ce qu’a fait Florent Latrive, dans un article publié dans l’édition du Monde diplomatique du mois de mars 2010. Sans doute l’une des meilleures synthèses sur le sujet.

Un négociateur européen n’acceptant de répondre à nos questions qu’à la condition expresse de demeurer anonyme ; un lobbyiste américain refusant de nous transmettre des ébauches d’un texte en cours de discussion car il a signé un accord de non-divulgation ; nos demandes officielles auprès de la Commission européenne rejetées — « Cela mettrait en péril les relations économiques internationales de l’Union » : le secret entoure le tout dernier traité international en faveur des multinationales de la pharmacie et des industries culturelles.

L’Accord commercial anti-contrefaçon (ACAC) — surtout connu sous sa dénomination anglaise : Anti-Counterfeiting Trade Agreement (ACTA) — fait l’objet de négociations depuis déjà plus de trois ans, en dehors de toute instance multilatérale officielle (1). Il touche à la liberté d’expression, à la santé, à la surveillance d’Internet, et à l’organisation du commerce mondial.

Officiellement, le texte vise à renforcer la lutte contre les produits contrefaits. Cela implique le renforcement des contrôles aux frontières ou l’augmentation des peines, au risque de rendre « difficile le transit international de médicaments génériques à bas coûts pour les pays en développement », selon Mme Alexandra Heumber, de Médecins sans frontières (MSF). Ou de transformer les intermédiaires techniques d’Internet — fournisseurs d’accès et hébergeurs — en factionnaires du droit d’auteur, fermant les accès des internautes ou filtrant des sites en dehors de tout contrôle judiciaire. « Les règles de l’ACTA et, plus généralement, de la propriété intellectuelle ont un impact énorme sur nos vies quotidiennes. Culture, éducation, santé ou communication : peu de domaines ne seront pas touchés par ces nouvelles règles », s’inquiète l’universitaire canadien Michael Geist, qui en offre sur son blog un résumé (2).

La « stratégie de Dracula »

Les opposants à ce traité tentent d’appliquer la « stratégie de Dracula » (lire « Le précédent de l’AMI ») sur un document complexe, secret et pourtant essentiel : l’exposer avant qu’il ne soit ratifié par les pays qui le négocient, puis l’imposer aux Parlements nationaux au nom des engagements pris.

Intellectual Property donor

« Ce qui les pousse au secret, c’est la volonté de contourner les opinions publiques », estime M. Jérémie Zimmerman, porte-parole du collectif La Quadrature du Net. Pour Mme Heumber, il est « inacceptable que beaucoup de pays ne soient pas autour de la table et que la société civile, qui pourrait être concernée, ne soit pas consultée ». Plus inquiétant encore : certaines ébauches du texte ont été remises à des organisations représentant le cinéma et la musique ou les multinationales pharmaceutiques, toutes militantes d’un durcissement du copyright et des brevets.

« J’ai eu accès à certains documents du texte de l’ACTA », confirme ainsi l’avocat Steven Metalitz, qui suit ce dossier pour l’International Intellectual Property Alliance (IIPA), un lobby qui représente à Washington les grands noms du divertissement — Motion Picture Association of America (MPAA) pour le cinéma, Business Software Alliance (BSA) pour les logiciels ou Recording Industry Association of America (RIAA) pour la musique.

Le juriste, comme tous ceux qui ont été mis dans la confidence, a signé un accord très strict de non-divulgation. « Nous n’avons rien à cacher, c’est la pratique habituelle dans les négociations commerciales internationales, se défend un négociateur européen qui — bien sûr — a requis l’anonymat avant de nous parler. Nous nous réunissons régulièrement avec des organisations non gouvernementales [ONG], des représentants de l’industrie — dont certains sont inquiets, comme les télécoms. Ce n’est pas exactement un secret. »

Plusieurs députés européens ont demandé à consulter ces documents. Sans succès. « Les négociations sont confidentielles. Quelques acteurs de la société civile et des lobbies sont dans le secret, mais sur quels critères sont-ils choisis ?, proteste l’élue Europe Ecologie Sandrine Bélier. Démocratiquement, c’est dangereux. »

Un projet politique

Technique sur le contenu et flou sur les contours, l’ACTA porte néanmoins un projet politique d’une grande clarté. L’accord anti-contrefaçon représente le dernier avatar d’une évolution du droit international en faveur d’une protection accrue de la propriété intellectuelle, au détriment des grands équilibres historiques du droit d’auteur et des brevets, dont le principe, rappelons-le, est de favoriser inventeurs et artistes, de lutter contre le secret industriel et d’assurer la protection des consommateurs.

Au-delà des discours, le durcissement de ces règles entérine une division internationale du travail qui cantonne le Sud à l’agriculture et à l’industrie, cependant que le Nord conserve la haute main sur la créativité et la valeur ajoutée : accessoires de mode dessinés à Paris et produits en Tunisie ; ordinateurs conçus dans la Silicon Valley et fabriqués en Asie. Avec de stricts contrôles aux frontières et sur le Net pour empêcher les « faux » d’inonder les marchés — et tant pis si, au passage, ces mesures drastiques bloquent les copies légitimes, médicaments génériques ou partages d’œuvres entre internautes à titre privé.

Pour l’un des négociateurs européens de l’ACTA, « il est clair que l’Europe ne peut concurrencer les autres pays sur les prix, mais elle a la créativité, la qualité, la culture, l’innovation ». Or rien de plus facile que de dupliquer à l’infini un film sur DVD, de reproduire un modèle de chaussure ou de fabriquer la copie identique d’un médicament sorti d’un laboratoire des pays développés. « Toutes ces choses sont protégées par la propriété intellectuelle et relativement facilement détournées ou volées, poursuit le négociateur. La propriété intellectuelle est un élément de la compétitivité européenne et elle doit être protégée dans les pays tiers. »

Cette logique imprègne la stratégie de Lisbonne, adoptée par l’Union en 2000, tout comme les efforts américains. « C’est de l’impérialisme sans excuse, estime M. James Love, le directeur de l’ONG américaine Knowledge Ecology International (KEI). Les responsables politiques nient l’importance de l’accès à la connaissance et de la liberté d’utiliser la connaissance pour le développement — y compris dans les pays riches. » Et oublient au passage que la plupart des pays aujourd’hui développés ont longtemps appliqué des politiques non restrictives sur les brevets et le droit d’auteur afin de soutenir leur propre développement. Lequel s’inspirait du savoir et de la culture puisés chez d’autres (3)… C’est le cas de la Suisse, copieuse de la chimie allemande au XIXe siècle, avant de se muer en défenseur acharné de ses propres brevets. Ou des Etats-Unis, qui n’ont pas reconnu le copyright sur les œuvres anglaises, majoritaires avant 1891, offrant ainsi aux éditeurs locaux des revenus faciles issus de leur libre copie.

Cette stratégie mise en œuvre dans les années 1980 a été progressivement adoptée par tous les pays développés, convaincus que l’immatériel — le savoir, la connaissance, la culture — formerait la nouvelle frontière de la propriété et du capitalisme. Le droit d’auteur (et le copyright) s’accroît alors, au détriment du domaine public.

Destinés à octroyer à l’inventeur un monopole temporaire sur des techniques essentiellement industrielles afin de récompenser l’innovation, les brevets sont désormais accordés bien plus généreusement à des découvertes triviales, à des programmes informatiques ou à des mécanismes biologiques.

Une fois la propriété intellectuelle enracinée chez eux, les pays développés ont pratiqué l’exportation législative, notamment à travers les accords sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Adpic), négociés en 1994 dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Conséquence, les génériques, qui permettent de fortement diminuer le prix des médicaments anti-VIH dans les pays du Sud, se trouvent bloqués par les brevets. Un pays comme l’Inde, qui avait fondé son industrie chimique et pharmaceutique sur la reproduction de substances mises au point à l’étranger, connut alors un renversement complet de modèle.

Médicaments bloqués en douane

Avec l’ACTA, il s’agit de relever encore ces « standards », selon l’expression du négociateur de l’Union européenne, afin de renforcer la« compétitivité » des pays du Nord. Mais, de l’avis des opposants, les barrières qu’ils introduisent sont déjà trop élevées, et l’accord en négociation ne fera qu’accroître les déséquilibres. MSF s’inquiète ainsi du pouvoir de contrôle aux frontières qui serait accordé via l’ACTA. En 2008, plusieurs navires en provenance d’Inde et à destination de pays pauvres ont été bloqués en douane. Ils transportaient dans leurs soutes des médicaments génériques, copies tout à fait légales dans le pays d’origine et dans celui d’arrivée. Mais pas en Europe, où transitaient les bateaux et où les règles en matière de brevets sont plus strictes. Résultat ? Plusieurs semaines de retard et des protestations officielles de New Delhi.

Même problème pour un chargement de 49 kilos de molécules anti-VIH génériques destinées au Nigeria et financées par Unitaid — mécanisme international qui collecte des taxes sur les billets d’avion —, bloqués à l’aéroport de Schiphol (Pays-Bas) en février 2009. « On risque d’arriver à des situations similaires où le transit de médicaments génériques à travers le monde pourrait être stoppé s’il y a suspicion de contrefaçon de brevets », remarque Mme Heumber.

Côté internet, les inquiétudes portent sur la responsabilité des fournisseurs d’accès (FAI) et des intermédiaires techniques. Là aussi, les Etats-Unis tentent d’obtenir un durcissement des règles en vigueur. La recette ? Rendre les FAI responsables des infractions commises par leurs abonnés. Et les inciter ainsi à filtrer, couper, bloquer, sans passer par l’autorité judiciaire, quitte à ne pas se soucier trop de la réalité des piratages ainsi punis. Une demande faite de longue date par les industries culturelles du monde entier et que la France avait tenté de satisfaire avec la loi Hadopi — mais dont les débats au Parlement européen, en 2009, rappelaient qu’elle risque de porter atteinte à l’exercice de libertés fondamentales des citoyens (4).

L’innovation malade du copyright

La focalisation excessive sur le renforcement de droits de propriété sur l’immatériel et l’augmentation du montant des dommages-intérêts prévus dans le cadre de l’ACTA menacent de freiner l’innovation elle-même. Pour M. Love, l’octroi des brevets s’effectue avec une telle prodigalité que, désormais, « personne ne peut concevoir un logiciel complexe, un téléphone mobile, un appareil médical ou même une nouvelle voiture sans enfreindre des brevets ». Rendre ces infractions plus coûteuses risque de « geler l’innovation ». L’opposé des buts affichés.

Les États impliqués dans ces négociations secrètes réfutent, bien entendu, toute idée de viol des opinions publiques. « L’ACTA n’est pas une exception au processus démocratique — le but n’est pas de tromper les Parlements européen ou nationaux », se défend le négociateur européen, qui juge « fantaisiste de croire que l’on réussit ces choses-là en cachette ».

Ce n’est pourtant pas la première fois que ces mêmes gouvernements contournent l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), l’institution internationale en théorie dédiée à ce type de discussions. A la fin des années 1990, le cadre de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT, ancêtre de l’OMC) lui avait été préféré pour engager les négociations sur les droits de propriété intellectuelle. Les pays développés avaient alors emporté la signature du Sud en échange de promesses sur l’ouverture des marchés agricoles — un troc que l’OMPI ne permettait pas.

Depuis quelques années, ces manœuvres ne suffisent plus. Plusieurs tentatives pour « durcir » la propriété intellectuelle ont échoué à l’OMPI, mais aussi à l’OMC. Sous la pression du Sud et de certaines ONG, l’OMPI accepte désormais officiellement de discuter d’autres modes de soutien à l’innovation, et envisage un traité sur les exceptions et limitations au droit d’auteur. Le Brésil, l’Inde, l’Argentine ou encore la Chine renâclent à renforcer des textes qu’ils jugent taillés sur mesure pour les pays du Nord. « La simple inclusion dans l’agenda de l’OMC d’une discussion sur la propriété intellectuelle était bloquée par certains de nos partenaires », reconnaît le négociateur européen.

Toutes les voies étant fermées, il ne reste alors que celle du traité ad hoc, négocié secrètement par quelques dizaines d’Etats (dix plus l’Union européenne). La stratégie est d’une efficacité redoutable : une fois l’ACTA négocié en petit comité et loin des regards, il « suffira » de le transposer dans le droit national de chaque signataire. Puis, quand les jeux seront faits, d’imposer la signature du texte aux pays en développement par le jeu d’accords bilatéraux, en leur faisant miroiter des concessions sur d’autres chapitres.

Un traité de 1996 sur le droit d’auteur et Internet (5), négocié dans le cadre de l’OMPI, montre la voie : transposé en droit européen en 2001, il a été présenté au Parlement français en 2006. Les députés avaient alors protesté, mais sans plus aucune marge de manœuvre, le gouvernement faisant systématiquement valoir que les engagements internationaux de la France ne pouvaient être trahis. Imparable. Sauf à débattre de ce type d’accord en pleine lumière, et au moment où il en est encore temps. Pour l’ACTA, c’est maintenant.

> Article initialement publié dans l’édition du Monde diplomatique du mois de mars et sur le site du Monde diplomatique

Photos IP donor CC-by-nc-sa Adam Crowe, Intellectual Property Garden CC-by-nc-nd Bettina Tizzy

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http://owni.fr/2010/04/27/acta-traite-secret-sur-l%e2%80%99immateriel/feed/ 8
Droit à l’oubli numérique: pourquoi c’est crétin? http://owni.fr/2010/04/16/droit-a-l%e2%80%99oubli-numerique-pourquoi-c%e2%80%99est-cretin/ http://owni.fr/2010/04/16/droit-a-l%e2%80%99oubli-numerique-pourquoi-c%e2%80%99est-cretin/#comments Fri, 16 Apr 2010 15:10:02 +0000 Bluetouff http://owni.fr/?p=12471 Attention, malgré un titre provocateur, ma position sur ce point est loin d’être tranchée, je ne nie pas qu’il existe des cas dramatiques, en revanche je trouve stupide de légiférer sur ce qui est techniquement absurde et dangereux (notre corpus législatif est déjà suffisant pour répondre aux problématiques de retraits de contenus diffamatoires ou portant atteinte à la personne). Je réagis à un tweet de @versac signalant qu’une consultation est actuellement en cours sur ce thème et dénonçant par là les « sécuricistes »… point sur lequel je le rejoins parfaitement, et voici pourquoi :

Primo, la problématique :

Oui certaines personnes, peu éduquées numériquement ont à souffrir de ce que la tendance marketing actuelle appelle la e-réputation. Il y a même des cas dramatiques (Cindy Sanders si tu me lis…). Pour les gens comme tout le monde (… tout le monde n’a pas le don d’un Frédéric Lefebvre pour se faire détester des internautes) tout commence par une confiance excessive sur les informations qu’ils diffusent sur le Net via des blogs, des réseaux sociaux ou autres. L’information peut être reprise, déformée et rediffusée… comme dans la vraie vie. Il y a bien des cas dramatiques qui existent, par exemple des mineurs s’exhibant devant des webcams et se retrouvant sur des sites malsains, mais là encore il s’agit d’un manque véritable d’éducation et les parents en sont au moins aussi responsables que les victimes elles mêmes.

De nombreuses questions autour de ce fumeux concept de droit à l’oubli :
- Que sommes nous prêts à accepter pour pardonner la bêtise des uns et le manque d’éducation des autres ?
- Comment faire pour sortir des informations qui sont entrées dans le réseau ?
- Combien cela coûterait-il ?
- Qui appliquerait un blocage (les FAI ?) ou ferait appliquer un retrait de contenu ?
- On le ferait sur demande de n’importe qui ou faudrait il que ce soit un juge qui ordonne pour un motif constitué légalement le droit à l’exercice de cette demande d’oubli ?
- Est-ce que ça ne risque pas de nuire à des choses bien utiles comme le site Archive.org qui s’est donné pour mission d’être la mémoire du web ?

En pratique, faire retirer un contenu peut être envisagé comme la solution… sauf que le réseau des réseaux ne connaissant pas de frontière, l’information est répliquée et rediffusée hors de nos juridictions, elle est dans le cache des moteurs de recherche, sur les disques durs des gens qui l’ont visionnée… En soi, l’oubli sur Internet n’est donc techniquement pas possible, il est même complètement absurde. N’importe qui pourra l’archiver une information et la rediffuser des années après. On dit que les Français n’ont pas de mémoire, c’est peut être aussi pour ça que le Net a un rôle sociétal à jouer.

Il m’est avis que ce droit à l’oubli est illusoir, c’est tout ce qu’un certain bisounours hémiplégique (Emmanuel Hoog, si vous ne voyez pas de qui je parle) a trouvé pour faire parler de lui… et il a réussi son coup. À quand une consultation publique sur l’engagement de l’État dans le déploiement d’un réseau fibré gigabit accessible aux particuliers (comme c’est déjà le cas en Corée du Sud) ?

Pour citer un ami qui se reconnaitra, « La France n’a pas les tuyaux de ses ambitions », elle a en ce moment en revanche un faculté hallucinante à légiférer sur des âneries.

En complément d’information, je vous invite à lire le savant billet de Denis Ettighoffer avec lequel je me suis pourtant souvent opposé à l’époque où je n’étais qu’étudiant à l’ISTEC ;)

PS : Denis, je suis ravis de constater que vos positions sur le monde du logiciel libre ont évolué ;)

Billet initialement publié sur Bluetouff’s blog

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Droit d’auteur à outrance sur Internet http://owni.fr/2010/04/14/droit-d%e2%80%99auteur-a-outrance-sur-internet/ http://owni.fr/2010/04/14/droit-d%e2%80%99auteur-a-outrance-sur-internet/#comments Wed, 14 Apr 2010 11:14:09 +0000 Stanislas Jourdan http://owni.fr/?p=12310

La plupart des contenus disponibles sur Internet ne justifient pas d’être protégés par le droit d’auteur tel que défini par défaut (tous droits réservés). Ne serait-il donc pas plus pertinent de moduler cette protection des œuvres en fonction de leur originalité réelle, de l’usage qui en sera fait, de l’origine de l’argent qui a permis leur création, etc. ?

Dans mon précédent article Le droit d’auteur a-t-il mal tourné ?, je montrais comment le droit d’auteur avait progressivement évolué vers un système qui n’est plus animé par les mêmes fondements et motivations que lors de sa conception initiale. J’essayais ainsi de montrer comment le droit d’auteur était devenu un artefact au profit des sociétés d’ayants droits plus qu’aux auteurs et au public.

Dans ce nouvel article, je voudrais maintenant aller plus loin en abordant plus spécifiquement les conséquences de cette (mauvaise) conception du droit d’auteur, sur ce qui en découle : son utilisation. En effet, si l’on y regarde de près, le droit d’auteur est bien souvent utilisé abusivement, je dirais même à outrance.

Que protège le copyright : l’œuvre ou le contenu ?

Dans mon premier article, je rappelais qu’il est impossible et illégitime de posséder une idée (et donc d’en revendiquer la protection). Ce sur quoi on m’a reproché ici et de confondre « idée » et « œuvre ». Il est vrai qu’il existe une nuance que j’avais omis de traiter.

Cette distinction est pourtant très importante : le droit d’auteur est censé protéger les créations de l’esprit à la condition qu’elles soient « originales ».

Or la plupart des « créations de l’esprit » ne sont pas originales… surtout sur internet ! En fait, j’ai l’impression que l’on confond « contenu » et « œuvre ». Or, si une œuvre est par défaut un « contenu », l’inverse n’est en général pas vrai : tout contenu n’est pas une œuvre. On retrouve d’ailleurs, par analogie, la même distinction dans le cadre du droit des brevets, censés protéger une invention, et non une idée (même si certains ont tendance à l’oublier).

Alors bien sur, une fois que l’on dit cela, il faut arriver à définir ce qu’est une œuvre de ce qui ne l’est pas… Très difficile tâche que je m’abstiendrai de traiter ici pour la laisser aux philosophes de passage sur ce blog :) . En attendant, je ne peux m’empêcher d’émettre des doutes sur la validité du caractère original de ces quelques exemples de contenus trouvables sur Internet :

  • Un article de presse : l’article-type d’un site de presse en ligne comme lemonde.fr n’est souvent qu’une reprise d’un dépêche de l’AFP, elle même reprise par 1douze autres « journalistes » (pareil pour de nombreux billets de blogs).
  • La 12 340eme photo de la Tour Eiffel prise par le touriste lambda que l’on peut trouver sur Flickr ou Picasa…
  • Une police de caractère…
  • etc…

Dans de nombreux exemples, une fois dépassé le caractère original « sur la forme » il ne reste pas grand chose… Une information brute reste la même quels que soient les mots employés pour l’annoncer, la Tour Eiffel reste la Tour Eiffel qu’il fasse bleu ciel ou gris, un A reste un a

Outil de protection artistique ou de e-réputation ?

Dans une autre catégorie des usages outranciers du droit d’auteur, on ne peut passer à coté de ces entreprises ou même organisations religieuses qui utilisent le droit d’auteur ni plus ni moins pour faire valoir une espèce de droit à l’image difficilement contrôlable autrement. Dit autrement : ces organisations prétextent le droit d’auteur pour s’autoriser ainsi à retirer des contenus – maladroitement publiés – de l’espace public. Un certain nombre de ces pratiques douteuses sont d’ailleurs recensées sur un Takedown hall of shame (mur de la honte) par l’EFF. En France, on se souvient notamment du cas Ralph Lauren ou encore de Canal+.

Sans même remettre ici en cause le caractère original/artistique des contenus pointés, on remarque clairement une utilisation abusive du droit de propriété d’auteur qui est ici complètement dénaturé de sa substance initiale : la protection des œuvres et la rémunération des artistes. Pire, ces pratiques enfreignent le droit à l’information.

Faut-il protéger toutes les œuvres de la même manière ?

Même en considérant qu’une création soit véritablement originale, on peut toujours se poser la question de la pertinence d’une protection absolue par le droit d’auteur. En fait, la question qui se pose derrière, c’est le caractère systématique du droit d’auteur. Il faut en effet savoir que dans le droit français (et je suppose qu’il est de même ailleurs), la propriété d’auteur est systématiquement accordée à l’auteur (qui n’a donc pas à prouver a priori la paternité de son œuvre).

Ainsi le droit d’auteur en version « tous droits réservés » est bien souvent attribué à une œuvre sans même que son auteur ne se pose la moindre question. Je crois au contraire que le choix de la licence devrait émaner d’un choix délibéré de chaque créateur, forçant ainsi celui-ci à se poser les questions suivantes : « Ma création est-elle originale, unique ? Est-ce véritablement une œuvre ? » ; et enfin : « Ma création nécessite-elle une protection absolue ? ».

Par exemple, est-il normal que l’ensemble des contenus audiovisuels d’une chaine de télévision publique (donc financée par les contribuables…) soient sous copyright ? Ne serait-il pas opportun de remettre ce contenu au domaine public (comme commence à le faire la Norvège…) ? De même, un photographe amateur n’a-t-il pas intérêt à mettre ses photos sous Creative Commons, permettant ainsi à d’autres de les utiliser (moyennant bien sur le respect de certaines conditions) plutôt que d’en interdire par principe toute réutilisation ? Ces créations ne sont-elles pas davantage valorisées en étant utilisées ?

Enfin, le caractère automatique du droit d’auteur pose aussi le problème des œuvres orphelines.

L’utilisation abusive (et massive) du droit d’auteur, une menace pour la société numérique ?

Les différents abus que je cite ne sont que des exemples parmi beaucoup d’autres. J’ai d’ailleurs créé un pearltree pour rassembler d’autres cas divers et variés d’utilisations à tort et à travers du droit d’auteur (n’hésitez pas à apporter vos contributions :) ) :

//

Outre les modalités actuelles du droit d’auteur que je dénonçais dans mon premier article, il existe donc un autre problème : le fait que la grande majorité des contenus disponibles sur Internet ne justifient pas la mise sous protection du droit d’auteur tel que défini par défaut (tous droits réservés).

Cette utilisation abusive et massive du droit d’auteur pose différents problèmes. Tout d’abord, il met celui-ci en conflit avec le droit à l’information, le droit de citation, le droit d’expression, et parfois même le droit à la Culture (cas des œuvres orphelines). Par ailleurs, cette sur-utilisation à tort et à travers du droit d’auteur n’a-t-elle pas tendance à dévaloriser les vraies œuvres ? En d’autres termes : puisque le droit d’auteur est devenu totalement absurde, n’est-on pas davantage tenté de le violer ?

En tout cas, ce problème est a priori difficilement imputable à la loi (ce qui complète donc mon premier article). En effet, pourrait-elle raisonnablement définir ce qu’est une œuvre ? Je ne crois pas. En revanche, on peut encourager l’utilisation de types de droits d’auteur  alternatifs permettant davantage de flexibilité aux créateurs de choisir une licence adaptée. Je pense évidemment aux licences Creative Commons ;-)

J’aurais encore beaucoup trop de choses à dire, mais je préfère m’arrêter sur ces interrogations : la suite dépendra peut-être de vos réponses… ;-)

– — –

Billet initialement publié sur Tête de quenelle !

Crédit image : CC Olivia Hotshot

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http://owni.fr/2010/04/14/droit-d%e2%80%99auteur-a-outrance-sur-internet/feed/ 5
Manifeste « en défense des droits fondamentaux sur Internet » http://owni.fr/2010/03/21/manifeste-%c2%ab-en-defense-des-droits-fondamentaux-sur-internet-%c2%bb-ii/ http://owni.fr/2010/03/21/manifeste-%c2%ab-en-defense-des-droits-fondamentaux-sur-internet-%c2%bb-ii/#comments Sun, 21 Mar 2010 13:15:32 +0000 Admin http://owni.fr/?p=10535 sinde

Image CC Tonymadrid Photography sur Flickr

[MAJ 22 mai 2011] Le manifeste « en défense des droits fondamentaux sur Internet » a été publié en décembre 2009 en réaction à la Ley Sinde, loi jugée liberticide par des internautes espagnols. Écrit dans une nuit d’urgence rageuse, massivement diffusé, il obligea le gouvernement à faire volte-face dans un premier temps. Si nous republions aujourd’hui ce texte, c’est qu’il préfigurait la révolte actuelle en Espagne, comme l’explique un de ses rédacteurs, le professeur Enrique Dans, spécialiste des systèmes de l’information :

L’origine, le déclenchement

C’est le moment où les trois grands partis, PSOE, PP et CiU, forment un pacte pour faire passer la ley Sinde, en contradiction flagrante avec la volonté d’une grande majorité de citoyens, pour faire plaisir à un lobby. Attention, ceci n’est que le début, le détonateur : à l’heure actuelle, cela n’a déjà plus d’intérêt ou de pertinence dans les manifestations. Mais en voyant l’acharnement pathétique à “faire passer cette loi à tout prix” alors que l’ensemble du réseau s’était soulevé contre elle, le relayer en direct a eu le même effet – avec tout le respect dû aux tunisiens et en demandant pardon d’avance pour la comparaison tragique – que le suicide de Mohammed Bouazizi s’immolant en Tunisie. De l’activisme contre la ley Sinde est né le mouvement #nolesvotes (ne votez pas pour eux), en plus de la cristallisation d’un climat de mécontentement évident contre toute une manière de faire de la politique.

Clin d’œil, enfin, au rôle joué par Internet dans la naissance de ce mouvement.

Le Conseil des Ministres approuvera ce vendredi 19 mars à Séville – le jour du pont de San Jose- ce monstre appelé « Loi sur l’économie durable », qui inclut la fameuse « Loi Sinde » (du nom de la ministre de la Culture Ndlr) permettant la fermeture de pages web en quatre jours seulement. Je me joins aux blogs qui repostent aujourd’hui le manifeste de décembre dernier. C’est la première fois que se répète un article dans ce blog, mais l’extrême gravité du sujet le mérite bien. Si vous aussi, vous publiez des pages sur le web, si vous avez publié ce manifeste à un moment ou si vous considérez le web comme une chose importante, je vous invite à faire de même :

Face à l’inclusion, dans le projet de loi de l’économie durable, de modifications législatives qui affectent le libre exercice des libertés d’expression, d’information et le droit à l’accès à la culture via Internet, nous, journalistes, bloggeurs, usagers, professionnels et créateurs d’Internet, manifestons ensemble notre opposition ferme au projet et déclarons que :

1. Les droits d’auteur ne peuvent se situer au-dessus des droits fondamentaux des citoyens, comme le droit au respect de la vie privée, à la sécurité, à la présomption d’innocence, à la tutelle judiciaire effective, et à la liberté d’expression.

2. La suspension des droits fondamentaux est et doit rester une compétence exclusive du pouvoir judiciaire. Ni fermeture ni sentence. Cet avant-projet, contraire à l’article 20.5 de la Constitution donne à un organe non judiciaire -un organisme dépendant du ministère de la Culture -, le droit d’empêcher les citoyens espagnols d’accéder à une page web.

3. La nouvelle législation créera de l’insécurité juridique dans tout le secteur technologique espagnol, et portera ainsi préjudice à un des seuls champs qui peut permettre le développement de notre économie et assurer son futur, entravant la création d’entreprises, créant des barrières à la libre concurrence et entravant son essor international.

4. La nouvelle législation proposée menace les nouveaux créateurs et gêne la création culturelle. Avec Internet et les avancées technologiques qui ont suivi , la création et l’émission de contenus en tous genres se sont démocratisées de façon extraordinaire. Ces contenus ne proviennent plus des industries culturelles traditionnelles mais de nombreuses sources différentes.

5. Les auteurs, comme tous travailleurs, ont le droit de vivre de leurs activités à l’aide de nouvelles idées, de nouveaux modèles d’entreprise et autres activités liées à leurs créations. Soutenir, ou essayer de le faire par des nouvelles lois législatives, une industrie obsolète ne sachant pas s’adapter à ce nouvel environnement n’est ni juste, ni réaliste. Leur activité se basait sur le contrôle des copies des œuvres, chose impossible à faire sur Internet sans empiéter sur les droits fondamentaux. Ils se doivent donc de trouver un autre modèle d’entreprise.

6. Nous considérons que les industries culturelles ont besoin d’alternatives modernes, efficaces, crédibles, accessibles et adaptées aux nouveaux usages sociaux pour survivre, au lieu d’utiliser des limitations tant disproportionnées qu’inefficaces pour parvenir à leur fin.

7. Internet doit fonctionner de façon libre et sans aucune intervention politique, bien souvent soutenue par des secteurs qui prétendent perpétuer des modèles (obsolètes) d’activité et d’entreprise et empêchant de cette façon le partage libre du savoir et de la connaissance.

8. Nous exigeons que le Gouvernement garantisse par la création d’une loi, la neutralité du web en Espagne, faisant face à une éventuelle pression, dans le but de créer un cadre de développement d’une économie durable et réaliste en tenant compte du futur.

9. Nous proposons une véritable réforme du droit de la propriété intellectuelle orientée vers son but : redonner le savoir et la connaissance à la société, promouvoir le domaine public et limiter les abus des entités gestionnaires.

10. En démocratie, les lois et leurs modifications doivent être approuvées après un débat public nécessaire et après avoir consulté toutes les parties impliquées. Il est inacceptable que des changements législatifs affectant les droits fondamentaux se fassent alors que la loi n’est pas organique et qu’elle porte sur une autre matière.

Billet repris du blog d’Enrique Dans, traduit par Anaïs Martinez

sinde2
MAJ 22 mai 2011 : Image flickr de Mataparda (cc-by-sa) Elle représente la ministre de la Culture, Angel Gonzales Sinde affublée des oreilles de Mickey.

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http://owni.fr/2010/03/21/manifeste-%c2%ab-en-defense-des-droits-fondamentaux-sur-internet-%c2%bb-ii/feed/ 13
Google livres : par le petit book de la tablette (1/3) http://owni.fr/2010/03/16/google-livres-par-le-petit-book-de-la-tablette-13/ http://owni.fr/2010/03/16/google-livres-par-le-petit-book-de-la-tablette-13/#comments Tue, 16 Mar 2010 15:04:46 +0000 Olivier Ertzscheid http://owni.fr/?p=10168 google2

Photo CC Christopher Chan sur Flickr

[...] N’ayant en guise d’ouvrage que la chronique idoine de ce blog, je me décide à rédiger une nouvelle série de billets pour expurger l’amoncellement de nouvelles au sujet de Google Books.

Le premier de ces billets (que vous êtes en train de lire, bande de petits veinards), sera uniquement consacré au volet “numérisation d’ouvrages du domaine public”, autrement dit le programme “Library partners” de Google Books.

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Google Books : l’état c’est moi.
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Côté bibliothèques, il manquait encore à la stratégie de Google deux pierres essentielles, tant pour les “relations publiques” et l’image du projet (de plus en plus malmenée), que pour le précédent que cela permettrait de créer : ces deux pierres sont la signature d’un accord avec une bibliothèque nationale (d’où les négociations, dès l’été 2009 et probablement encore un peu avant, avec la BnF), et celle de la signature avec un état en tant que tel. Or voici donc que depuis le 10 Mars 2010, Google a signé avec le ministère de la Culture italien pour la numérisation et la mise en ligne d’un million de volumes, libres de droits (publiés avant 1860).

Coup double et coup de maître, puisque ledit contrat confère à Google un statut de prestataire étatique qui pourrait en inciter plusieurs autres – états – à revoir leur position, et lui donne également accès à non pas une mais bien deux bibliothèques nationales (Rome et Florence). Comme le souligne Le Monde, c’est donc bien d’une victoire politique qu’il s’agit. D’autant que ce nouvel allié politique devrait là encore pouvoir être cité comme témoin dans le procès en cours concernant la numérisation des ouvrages sous droits (et je ne parle même pas des – nouvelles – activités de lobbying ainsi autorisées …)

Modus operandi. Tout comme pour le projet de numérisation de la bibliothèque de Lyon, Google installera un centre de numérisation en Italie. La numérisation du million d’ouvrages – pour l’instant – concernés, devrait prendre deux ans. Sur les aspects concrets de ladite numérisation et les risques toujours actuels de dérive vers un eugénisme documentaire, on sait peu de choses. La dépêche AFP délayée dans Les Échos nous indique que :

- “le moteur de recherche s’engage à fournir aux bibliothèques des copies numériques de ces livres, “leur permettant ainsi de les rendre accessibles aux lecteurs sur d’autres plateformes, y compris d’autres projets européens comme Europeana“.

Rien n’est dit sur le type de copie numérique qui sera ainsi partagée, sur son ouverture à l’indexation par d’autres moteurs, sur l’exclusivité – ou non – d’indexation, bref sur l’ensemble des points qui posent habituellement problème dans les contrats signés entre Google et les bibliothèques.

À noter : la déshérence et le désengagement de l’État italien berlusconien dans le domaine des politiques publiques peut également apparaître comme un facteur non-négligeable à l’explication de cette “première mondiale”. Bon par contre on n’a pas réussi à prouver que la Camorra avait infiltrée Google mais bon entre pieuvres… ;-)

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Google Books : l’OPAC ultime en ligne de mire ?
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Quand on s’interroge sur le “pourquoi Google investit-il à perte dans la numérisation d’ouvrages du domaine public”, on dispose de plusieurs niveaux de réponse :

- d’abord – c’est l’argument que je ressasse depuis longtemps – parce que ce projet est tout sauf une danseuse et que Google, après avoir “gagné” la bataille de l’information, a compris – avant d’autres, y compris les états présidant au devenir financier de nos bibliothèques nationales numériques -  qu’il devait se positionner sur la bataille de la connaissance. Comme il a avant d’autres compris que l’essence de la bibliothèque, que les enjeux qui la fondent et lui sont indissolublement liés sont d’abord de nature politique. Et que de la maîtrise de cet échiquier politique dépendrait ensuite la maîtrise de secteurs économiques entiers (dont la “chaîne du livre” en tant que maillon – pas forcément faible – des industries de la connaissance)

- ensuite parce que cet investissement lui donne la légitimité (et la compétence) pour s’installer durablement sur le secteur de la numérisation d’ouvrages sous droits (second volet de Google Books)

- et tout un tas d’autres raisons, dont la constitution de la plus grande archive documentaire de corpus multilingue (ceci expliquant peut-être sa suprématie dans le domaine de la traduction automatique…)

Preuve est désormais faite que numériser des livres peut permettre de ramasser un beau pactole et que ces investissements dès le lancement du projet en 2004, l’étaient dans une perspective claire de monétisation. Dans la cadre de la “plateforme” Google Books, il est plusieurs manières de gagner de l’argent :

- pour les éditeurs… ben c’est tout l’enjeu du procès actuel aux États-Unis et en France… pour gagner de l’argent avec les éditeurs disais-je, il suffit à Google de casser la chaîne de médiation (en évacuant par exemple les libraires), ou tout au moins de s’y positionner comme un routeur incontournable préemptant au passage des droits de douane qu’il est le seul à fixer (c’est précisément le rôle du Google Books Settlement).

- pour gagner de l’argent avec les auteurs, il suffit d’augmenter leur commission, en se payant sur les commissions que ne touchent plus les éditeurs et/ou les libraires (et je maintiens qu’en juin 2010, date de lancement désormais officielle de Google Editions, on verra apparaître un outil de micro-paiement à destination des auteurs, construit sur le modèle pay-per-click des publicités Adsense … les paris sont ouverts ;-)

- pour gagner de l’argent avec les bibliothèques, c’est à peine plus compliqué : soit on leur propose des contrats léonins jouant clairement sur un abus de position dominante, (voir aussi ce qu’il pourrait en être de l’inaliénabilité du domaine public) mais il est probable que ce ne soit pas entièrement satisfaisant (et un peu risqué) sur le long terme. Soit on leur fait payer l’accès à la copie de l’ouvrage par le truchement de licences monopostes (volet bibliothèque du GoogleBooks Settlement). Soit on prévoit de leur proposer, à terme, un accès – payant – à ce qui ressemble chaque jour davantage à un OPAC planétaire de ressources en texte intégral (les OPAC planétaires classiques s’arrêtant aux seules métadonnées).

Il n’est ainsi pas improbable qu’en même temps qu’il lancera Google Editions pour (contre?) les libraires et éditeurs, Google, en s’appuyant sur la masse de documents du domaine public déjà numérisés, en s’appuyant également sur les fonctionnalités de plus en plus “bibliothéconomiques” de l’interface GoogleBookSearch, il n’est pas improbable disais-je que Google propose aux bibliothèques une architecture “full-web” leur permettant – et à leurs utilisateurs – de déporter “dans les nuages” une partie significative des composantes habituellement dévolues aux SIGB (Systèmes informatiques de Gestion de Bibliothèque). Fantasme de mon esprit malade ? Nous verrons bien :-)

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Image CC MikeBlogs sur Flickr

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Google Books : des rapports et des lois … mais pas vraiment de rapport à la loi …
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Après le rapport Tessier (exégèse disponible ici), c’est donc la très sérieuse commission des finances du Sénat qui planche sur le rapport Gaillard : “La politique du livre face au numérique“, dont une partie importante est entièrement consacrée à “l’affaire Google“. Pas grand chose à signaler dans ledit rapport, si ce n’est qu’il valide les conclusions du rapport Tessier (= la BnF doit signer avec Google en évitant l’exclusivité d’indexation et en se réservant les droits de mise à disposition immédiate auprès de son public). Le prochain rendez-vous est fixé au 28 avril prochain où la commission de la culture débattra pendant une table-ronde réunissant tous les acteurs de la chaîne du livre des deux points suivants :

– “l’avenir de la filière du livre et l’opportunité de fixer un prix unique au livre numérique,
- la politique de numérisation pour le livre, selon qu’il est libre de droits ou sous droits.

Le rapport Gaillard tient tout entier en une phrase clé : “avec les moyens actuels de la BnF, il faudrait environ 750 millions d’euros et 375 ans pour numériser l’ensemble des ouvrages. Selon M. Bruno Racine, la totalité des fonds de la BnF pourrait être numérisée en 10 ans par Google.Ita missa est. Sauf que … Sauf que l’expression même de “numériser l’ensemble des ouvrages” n’a aucun sens bibliothéconomique, Google pas plus que la BnF ne prétendant vouloir (et surtout pouvoir) numériser l’intégralité des fonds documentaires.

La numérisation est d’abord affaire de choix et de priorités définies selon des critères là encore bibliothéconomiques (rareté, ancienneté, fréquence des emprunts, etc …) et prendre prétexte comptable de l’éternel fantasme de la bibliothèque universelle me semble un raisonnement spécieux qui masque les réels enjeux politiques d’un tel projet.

Dernier point intéressant dans le rapport Gaillard, le tableau de la répartition des fonds du grand emprunt entre les différents organismes publics bénéficiaires.

A noter que, nonobstant la procédure toujours en cours (le procès Google Books donc), certaines universités (et pas des moins prestigieuses) déjà parties prenantes lors du lancement de Google Books,  n’hésitent pas à apporter publiquement leur soutien à la version “amendée” dudit Google Books Settlement. C’est le cas de Stanford, qui vient donc de resigner avec Google.

A noter encore, et toujours concernant les issues possible du procès en cours, vous avez la possibilité de vous coller un bon mal de crâne prendre la mesure des différents scénarios possibles, en consultant le schéma (pdf) disponible sous ce lien et produit par la très active et lobbyiste Library Copyright Alliance.

Et Europeana dans tout ça ?? Et bien, à parcourir le rapport sur les prochaines étapes de déploiement de ce projet, on est saisi de constater à quel point l’enlisement le dispute à l’atermoiement. Un saisissement que deux paramètres permettent d’éclairer : dans l’urgence et la vitesse à laquelle bougent les choses sur la question de la numérisation patrimoniale (grâce à l’effet de ricochet et/ou d’aspiration de la numérisation commerciale), l’échelon européen ne semble pas être le bon pour articuler un projet “à l’échelle” de Google. L’autre paramètre est naturellement financier, une majorité de bibliothèques européennes, du côté de l’Europe de l’Est notamment, s’interrogeant sur l’opportunité de passer du temps à alimenter un portail sans aucune visibilité là où des partenariats avec Google leurs permettraient d’économiser de la logistique, du temps, et surtout de l’argent. À n’en pas douter, la récente signature du partenariat avec le ministère de la Culture italien ne va pas contribuer à mobiliser les acteurs européens dans le sens du développement d’Europeana. Bref, ce qui était et qui demeure un beau projet souffre d’un énorme problème de positionnement, résultant lui-même d’un tout aussi important problème de calendrier et d’une implication parfaitement insuffisante (et insuffisamment répartie) entre ses différents acteurs supposés (soit, en théorie, l’ensemble des bibliothèques nationales européennes).

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Google Books ou le périmètre des biens communs.
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Comme l’illustre magnifiquement Asaf Hanuka, le monstre Google continue d’effrayer. Google est méchant. Google s’expose à une liste de plus en plus impressionnante (et documentée) de critiques. Les premiers cris d’effroi passés, il serait dommage de perdre de vue que la principale dangerosité du projet Google Books ne lui est pas intrinsèque. Bien au contraire, elle tient, en ce domaine comme en d’autres, au fait que les avancées de la firme nous obligent (et nos “états” avant nous …) en permanence à repenser la nature et le périmètre de ce qui doit être, devenir ou demeurer un ensemble de biens communs de la connaissance. Ce n’est qu’au prix d’une définition claire et politiquement argumentée desdits biens communs qu’un balisage efficace (efficient ?) de la frontière entre ce qui relève de la sphère publique et de la sphère privée pourra être établi sur la question de la numérisation en particulier, et sur la question de l’accès à l’information en général.

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Google Books : “A path to insanity”.
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Dans l’un de ses derniers essais (repéré sur Techcrunch), intitulé : “For the Love of Culture : Google, copyright and our future“, Lawrence Lessig se livre à la meilleure analyse – selon moi … – des dangers que représente Google Books non pas en tant que dispositif, mais en tant que processus d’aliénation de l’accès à la culture, en tant que processus d’industrialisation de la copie** (comme en écho aux lectures industrielles théorisées par Alain Giffard, ces deux-là – Lessig et Giffard – ayant depuis longtemps parfaitement cerné la réelle nature du problème de GoogleBooks). Le texte est un argumentaire absolument limpide et remarquable qu’il conviendrait de citer en entier. Quelques extraits pour vous mettre en bouche :

C’est ici le problème de la granularité documentaire que pose Lessig. Là où les bibliothèques se posent (parfois un peu trop …) la question de savoir quels types d’unités de connaissance peuvent “faire collection”, l’approche de Google Books transforme chaque opération intellectuelle d’indexation, d’extraction, de citation ou même de simple “lecture” en une “copie”, rendant toute tentative de collection aussi vaine que la lecture du Livre de sable de Borges. Résultat ?

Au-delà même des aspects législatifs et réglementaires qui complexifient et rendent monétisables les différentes traçabilités de ces copies (via, par exemple, les DRM “embarqués” dans icelles), la notion même de copie (telle que mise en œuvre par GoogleBooks et telle que combattue par Lessig), la notion même de copie est dangereuse parce qu’elle brise et révoque l’idée même de toute possibilité de continuité documentaire. Or sans continuité documentaire, toute agrégation, toute collection devient impossible. Sans continuité documentaire, toute culture cède la place à d’éphémères et innombrables acculturations temporaires.

La copie devient ainsi une fin en soi, éternellement “légiférable” et “monétisable” parce qu’éternellement reproductible et déconnectée de la totalité, de la complétude initiale qui lui permet d’exister en tant que telle. La copie devient une fin en soi, en même temps qu’elle cesse d’être l’instrument ou le support d’une pratique de recherche, de lecture, d’étude ou de partage. Elle s’industrialise**.

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Image CC ahhyeah sur Flickr

Lessig conclut son essai de la manière suivante :
The deal constructs a world in which control can be exercised at the level of a page, and maybe even a quote. It is a world in which every bit, every published word, could be licensed. It is the opposite of the old slogan about nuclear power: every bit gets metered, because metering is so cheap. We begin to sell access to knowledge the way we sell access to a movie theater, or a candy store, or a baseball stadium. We create not digital libraries, but digital bookstores: a Barnes & Noble without the Starbucks.” (…) “In real libraries, in real space, access is not metered at the level of the page (or the image on the page). Access is metered at the level of books (or magazines, or CDs, or DVDs). You get to browse through the whole of the library, for free. You get to check out the books you want to read, for free. The real-space library is a den protected from the metering of the market. It is of course created within a market; but like kids in a playroom, we let the life inside the library ignore the market outside.

We are about to change that past, radically. And the premise for that change is an accidental feature of the architecture of copyright law: that it regulates copies. In the physical world, this architecture means that the law regulates a small set of the possible uses of a copyrighted work. In the digital world, this architecture means that the law regulates everything. For every single use of creative work in digital space makes a copy. Thus–the lawyer insists–every single use must in some sense be licensed. Even the scanning of a book for the purpose of generating an index–the action at the core of the Google book case–triggers the law of copyright, because that scanning, again, produces a copy.

I have no clear view. I only know that the two extremes that are before us would, each of them, if operating alone, be awful for our culture. The one extreme, pushed by copyright abolitionists, that forces free access on every form of culture, would shrink the range and the diversity of culture. I am against abolitionism. And I see no reason to support the other extreme either–pushed by the content industry–that seeks to license every single use of culture, in whatever context. That extreme would radically shrink access to our past. (…) But this is too important a matter to be left to private enterprises and private deals. Private deals and outdated law are what got us into this mess. Whether or not a sensible public policy is possible, it is urgently needed.
Il y a effectivement urgence. Et cette urgence n’est pas comptable, elle ne se chiffre pas en nombre de millions de volumes numérisables à l’instant “t” ou en millions d’euros nécessaires à une numérisation exhaustive. Google ne fait que laisser se déployer son écosystème informationnel, il ne fait que laisser tourner à plein régime toute la force d’inertie générée par une tyrannie de l’accès à l’information érigée et maquillée en paradigme de l’organisation des connaissances. Mais la faute n’incombe pas à Google. Il n’appartient pas à Google de circonscrire son rayon d’action. Seule compte pour lui la possibilité de l’étendre, ce dont on ne saurait le blâmer tant nous profitons – pour l’instant – des effets de bord de ces incessantes extensions.

C’est aux états et aux théoriciens qu’il appartient de circonscrire le rayon d’action de ces écosystèmes aussi économiquement dérégulés qu’ils sont informationnellement cohérents. Et l’un des meilleurs et des plus sûrs moyens pour y parvenir est de délimiter un régime mondial des biens communs (ce qui n’est pas tout à fait la même chose que de parler de l’accès comme “d’un bien public mondial”). Des biens communs dont le centre de gravité est pour l’instant partout, ou tout du moins à chaque endroit dans ou pour lequel se pose la question d’une appropriation possiblement pérenne ; mais des biens communs dont la circonférence n’est pour l’instant… nulle part.

**sur la notion d’une industrialisation ad libitum de la copie, Ted Nelson au travers du concept de Versioning avait été une fois de plus, parfaitement visionnaire. Dans ses travaux, le versioning désigne : “l’ensemble des manières de gérer, indépendamment de tout niveau d’échelle, les procédures permettant de rattacher différentes versions d’un même document à un (des) auteur(s), tout en permettant à chacun de s’approprier tout ou partie des documents produits par d’autres ou par eux-mêmes, et en assurant un suivi des différentes modifications apportées.“) Soit le dispositif technique auquel Lessig réfléchit sans le nommer, permettant d’éviter toutes les “insanities” subséquentes à une gestion de la copie dont la finalité serait uniquement de marchandiser l’accès à tout fragment (= à toute copie) généré(e) ou inscrit(e) dans un parcours de lecture ou de navigation. Bon là j’ai pas trop le temps de creuser, mais pour les masochistes souhaitant approfondir la notion de versioning, une (petite) partie de ma thèse lui est consacrée (pp. 203 à 205).

Billet initialement publié sur Affordance.info

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http://owni.fr/2010/03/16/google-livres-par-le-petit-book-de-la-tablette-13/feed/ 2
ACTA : menace et incompatibilité avec la législation européenne confirmées http://owni.fr/2010/02/22/acta-menace-et-incompatibilite-avec-la-legislation-europeenne-confirmees/ http://owni.fr/2010/02/22/acta-menace-et-incompatibilite-avec-la-legislation-europeenne-confirmees/#comments Mon, 22 Feb 2010 13:56:45 +0000 La Quadrature du Net http://owni.fr/?p=8766

Paris, 22 février 2010 – Un document qui pourrait être la proposition américaine du chapitre Internet d’ACTA a fuité1. S’il est authentique, ce texte confirmerait les craintes exprimées par une vaste coalition d’organisations de la société civile2 de voir les opérateurs Internet se transformer en police privée du Net. Les négociateurs de l’Union européenne doivent rejeter ces propositions qui vont à l’encontre de la législation européenne et mettent gravement en danger les droits et libertés des utilisateurs d’Internet.

Comme prévu, la proposition émanant du représentant au Commerce américain satisfait les demandes des industries du divertissement et altère radicalement la structure d’Internet. Afin de ne pas devenir responsables des infractions au droit d’auteur perpétrées par leurs utilisateurs, les fournisseurs d’accès et de services en ligne n’auraient d’autre choix que de mettre en place des systèmes de contrôle induisant de fait un filtrage du trafic d’Internet. Par ailleurs, les fournisseurs d’accès à Internet seraient contraints d’appliquer « volontairement » la « riposte graduée » qui aboutit à restreindre l’accès à Internet des utilisateurs suspectés de contrefaçon.

« Ce document montre que l’ACTA vise à imposer à Internet une régulation dictée par les industries américaines du divertissement. Les sanctions civiles et pénales pourraient rompre radicalement l’équilibre atteint par la législation européenne sur les opérateurs Internet3. Les négociateurs européens4 doivent s’opposer à ce contournement du processus démocratique visant à mettre Internet sous surveillance totale par des acteurs privés. », conclut Jérémie Zimmermann, porte parole de La Quadrature du Net.

  1. 1. Le document est intitulé « ACTA digital chapter » ou « ACTA chapitre numérique » : http://sites.google.com/site/actadigitalchapter/acta_digital_chapter.pdf…
  2. 2. 90 organisations nationales et internationales à but non lucratif du monde entier, parmi lesquelles Consumers International, Reporters sans Frontières ou encore la Free Software Foundation ont signé la lettre ouverte ACTA : http://www.laquadrature.net/fr/acta-menace-globale-pour-les-libertes-let…
  3. 3. La disposition « mere conduit » (ou « simple transport ») de la directive eCommerce exclut de manière explicite de transformer les opérateurs en auxiliaires de police privée.
  4. 4. La divulgation d’un rapport récent montre que des représentants des États Membres suivants ont participé au septième round de négocitation au Mexique : Royaume Uni, Finlande, Suède, France, Allemagne, Italie, République Tchèque (http://www.pcinpact.com/media/Report_7th-round-TPC.doc)
Article initialement publié sur La Quadrature du Net
Photo Olivier Bareau sur Flickr
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http://owni.fr/2010/02/22/acta-menace-et-incompatibilite-avec-la-legislation-europeenne-confirmees/feed/ 1
Hébergeur + publicité = éditeur ? http://owni.fr/2010/02/18/hebergeur-publicite-editeur/ http://owni.fr/2010/02/18/hebergeur-publicite-editeur/#comments Thu, 18 Feb 2010 14:03:21 +0000 Michèle Battisti http://owni.fr/?p=8470 Article initialement paru sous le titre “Hébergeur + publicité = éditeur ? Un arrêt de la Cour de cassation lourd de conséquences”

La Cour de cassation vient de trancher sur des faits datant de 2002. Si l’environnement législatif a changé depuis, une crainte subsiste : c’est de voir la responsabilité d’un hébergeur engagée à l’image de celle d’un éditeur (1) dès lors qu’une publicité payante figure sur la page comportant une contrefaçon.

A l’époque l’hébergeur Tiscali ne disposait pas des données permettant d’identifier la personne qui avait mis en ligne un contenu illicite. La Cour d’appel l’avait condamné pour contrefaçon, après l’avoir requalifié en éditeur, considérant que « les services fournis excédaient les simples fonctions techniques de stockage».

La Cour de cassation a confirmé cette décision le 14 janvier 2010. Elle n’a pas tenu compte des remarques d’un rapport parlementaire qui soulignait qu’un fournisseur d’hébergement était « nécessairement conduit à structurer l’information qu’il stocke sur son ou ses serveurs », « qu’aucun texte n’opère de distinction entre les prestataires de services sur le critère économique » et qu’il est « contraire à la loi de condamner le modèle de la gratuité rémunérée par la publicité ».

Les commentateurs n’ont pas hésité à souligner que le rapporteur de la décision de la Cour de cassation va occuper très prochainement le poste de présidente de la HADOPI.

Tel était la brève que j’avais faite dès la publication de l’arrêt, à la mi-janvier 2010. Le billet Rubin Sfadj m’incite à reprendre certaines de ses remarques. Il attire non seulement notre attention sur le fait que depuis cet arrêt de « la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français », la responsabilité des prestataires techniques de l’Internet monte d’un cran et que ceci n’est pas prévu par la loi, mais que ceux-ci se trouvent désormais face à dilemme irréaliste puisqu’il leur faudrait soit contrôler a priori tous les contenus (ce qui est techniquement impossible), soit renoncer à se faire financer par la publicité (ce qui est économiquement impossible, et les ferait fuir vers de meilleurs cieux).

Il rappelle aussi que cette décision menace la liberté d’expression puisque que dès lors qu’un de ces services est financé par la publicité, il serait incité à retirer des contenus à chaque notification, sans vérifier le bien-fondé des allégations (2). Cette disposition, note-t-il fort justement,  avait pourtant été censurée par le Conseil constitutionnel en 2000 (3).

Alors, certes, l’environnement a beaucoup changé et avec les développements du web 2.0 les prestataires techniques sont devenus des points de mire. Ils occupent une place centrale dans les lois Hadopi, dans la Loppsi 2, ce projet de loi adopté le 16 février 2010 en 1ère lecture par l’Assemblée nationale, mais aussi, comme le rappelle aussi Rubin Sfadj, dans ACTA, projet d’accord international qui pourrait les obliger à fournir les données de connexion de leurs utilisateurs suspectés non plus de terrorisme (4) mais de piratage, sans intervention, ajoute-t-il,  de l’autorité judiciaire (5).

Si l’arrêt Tiscali a des conséquences juridiques, il a visiblement aussi des conséquences économiques et des conséquences pour les libertés. Le web prend visiblement un autre tournant en ce moment. Il convient d’être vigilant.

Notes

(1)  Selon la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), la responsabilité des hébergeurs et des FAI n’est engagée que si, avisés de la présence d’un contenu manifestement illicite, ils ne le retirent pas dans les plus brefs délais, ou s’ils ne répondent pas aux exigences de la décision d’un juge. En revanche, la responsabilité d’un éditeur est engagée pour tous les contenus mis en ligne puisque l’on  considère qu’il lui est possible d’en prendre connaissance préalablement.

(2) A l’image de ce que vient de faire Google aux Etats-Unis, avant de se raviser

(3)  Décision n° 2000-433 DC du 27 juillet 2000  Le Conseil constitutionnel a reproché au législateur d’avoir « omis de préciser les conditions de forme d’une telle saisine » et de » n’avoir pas déterminé les caractéristiques essentielles du comportement fautif de nature à engager la responsabilité pénale des intéressés ».

(4) Conserver les données de connexion des abonnés, une obligation imposée aux FAI  par la loi anti-terroriste.

(5) Les dispositions d’ACTA sont encore secrètes, mais on en connaît les grandes lignes.

Sources

La future présidente de l’Hadopi finit fort, Guiseppe di Martino, Slate.fr, 15 janvier 2010

Cour de cassation : Tiscali, éditeur du contenu qu’il héberge, Marc Rees, Pc-Inpact, 15 janvier 2010

Responsabilité des hébergeurs : un problème à surveiller de près, Rubin Sfadj, ReadWriteWeb, 12 février 2010

Textes

Cass Civ 1, 14 janvier 2010, Telecom Italia (Tiscali) c/ Dargaud Lombard et Lucky Comics. Sur le site Juriscom

Loi n° 29004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique et liens vers les décrets d’application. Sur le site Légifrance

> Article initialement publié sur Paralipomènes

> Photo d’illustration jef safi sur Flickr

Sur la question du statut d’éditeur ou d’hébergeur, une décision vient d’être rendue dans l’affaire opposant l’agrégateur Paperblog à la plate-forme Overblog.

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http://owni.fr/2010/02/18/hebergeur-publicite-editeur/feed/ 0